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LIVRE I. — PARTIE II.


Remonstre là ton effort,
Se conquerre tu le pues ;
Tu renderas maint sourcot
À nos mères se tu voes.
En ce païs ont à tort
Pris et moutons et cras bues :
Or paieront il leur escot
À ce cop, se tu t’esmues.

Gardés vous dou Nouviau Fort.
Vous qui allez ces allues ;
Car laiens prent son déport
Messire Jehan d’Évrues.


Ainsi étoit messire d’Éverues, par sa chevalerie, crié et renommé au pays. Et tant se multiplièrent ces cançons qu’elles vinrent en la connoissance de ces seigneurs de Bretagne qui se tenoient à Lamballe. Si commencèrent à penser sus et à dire : « Dieu le veut ! les enfans nous apprendront à guerroyer. Voirement n’est-ce pas chose bien séante que nous savons nos ennemis si près de nous, qui ont toute celle saison robé et pillé le pays, et si ne les allons point voir : il nous convient chevaucher vers ce nouveau fort et tant faire que nous l’ayons, et messire Jean d’Éverues dedans. Il ne nous peut nullement échapper qu’il ne soit nôtre ; et nous rendra compte de tout son pillage. »

Adonc s’émurent ces seigneurs, et leurs gens une partie, et une partie en laissèrent en Lamballe pour la garder ; et chevauchèrent environ deux cents lances vers le Nouveau Fort, et firent tant qu’ils y vinrent. Si s’arrêtèrent par devant et l’environnèrent de tous lez, afin que nul n’en pût issir ; et se mirent tantôt en ordonnance pour aller assaillir, et messire Jean d’Éverues et ses gens en bon arroi pour eux deffendre. Là eut par trois nuits grands assauts, et des blessés d’une part et d’autre. Et tellement l’avoient empris le sire de Cliçon et cils barons de Bretagne, que de là ne partiroient si auroient conquis ce nouveau fort et ceux qui dedans étoient, que ils n’en eussent point failli que voirement ne l’eussent ils eu ; car le Nouveau Fort n’étoit point tel que pour tenir à la longue contre tels gens d’armes ; et l’eussent eu très le premier jour, si n’eût été leur bonne apperte deffense, et la bonne artillerie qui dedans étoit, et dont ils l’avoient pourvue.

Entrues que cils barons de Bretagne étoient devant ce Nouveau Fort assez près de Camperlé, et qu’ils hérioient et oppressoient durement monseigneur Jean d’Éverues, trois nouvelles en un moment vinrent au duc de Bretagne, au comte de Cantebruge, au comte de la Marche et aux barons d’Angleterre qui devant Saint-Brieuc des Vaulx étoient : les premières, furent telles, que les mineurs avoient perdu leur mine, et que il leur en convenoit refaire une autre nouvelle, si on vouloit avoir par mine la ville de Saint-Brieuc des Vaulx, laquelle chose leur étoit grandement déplaisant ; et en étoient tout péneux et merancolieux, quand Chandos le héraut leur apporta les secondes nouvelles, qui venoient tout droit de Bruges et du duc de Lancastre. Si envoyoit par ses lettres closes au duc de Bretagne, à son frère le comte de Cantebruge et au comte de la Marche la manière et l’ordonnance du traité, et sur quel état ils étoient entre lui et le duc d’Anjou, quand le dit Chandos partit de Bruges. La tierce nouvelle fut, qui tous les réveilla, comment le sire de Cliçon, le vicomte de Rohan, le sire de Beaumanoir, le sire de Laval et le sire de Rochefort, avoient enclos et assiégé monseigneur Jean d’Éverues en son nouvel fort, et le faisoient assaillir tellement et si fortement qu’il étoit en péril d’être pris et en grand’aventure.

Quand le duc de Bretagne ouït ce, si dit : « Tôt à cheval ! si chevauchons coiteusement celle part : j’aurois jà plus cher la prise de ces cinq chevaliers que de ville ni de cité qui soit en Bretagne ; ce sont cils, avec monseigneur Bertran de Claiquin, qui m’ont plus fait à souffrir et lesquels je désire le plus. Nous ne les pouvons plus aisément avoir que en ce parti où ils sont. Et nous attendront là, je n’en fais nulle doute, mais que nous nous hâtons ; car ils désirent à avoir le chevalier, messire Jean d’Éverues, qui vaut bien que on le secoure et r’ôte de ce danger. » À ces paroles evvous ces seigneurs tantôt armés et montés, et une partie de leurs gens ! et se partirent chacun qui mieux mieux, sans attendre l’un l’autre ; et écuyers et varlets commencèrent à courir et à suivir leurs maîtres. Ainsi soudainement se défit le siége de Saint-Brieuc des Vaulx.

Certes le duc de Bretagne, le comte de Cantebruge, le comte de la Marche, le sire Despensier, et cils barons et cils chevaliers d’Angleterre, avoient si grand’hâte et tel désir de venir devant ce Nouveau Fort pour trouver leurs ennemis, qu’ils ne firent sur le chemin le plus que r’alai-