Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/764

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
696
[1374]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

à ce que de comparoir à Bruges l’un devant l’autre ; car, au voir dire, les traiteurs alloient à trop grand’peine de Saint-Omer à Calais et de Calais à Saint-Omer. Et quand ils avoient tant allés et tant venus, si ne faisoient-ils rien ; car sur trois ou quatre jours que ils mettoient, tant que en allant et retournant, et parlant aux parties, se muoit bien nouvel conseil.

Quand le duc de Lancastre se dut partir de Calais, le duc de Bretagne, qui s’étoit là tout le temps tenu avec lui, prit congé et retourna en Angleterre, et rapporta nouvelles des traités au roi, et sur quel état ils étoient. À son retour qu’il fit, il exploita si bien au roi, parmi les bons moyens qu’il eut, et monseigneur Alain de Bouqueselle, chambrelan du roi, que le dit roi lui accorda et délivra deux mille hommes et quatre cents archers, et par espécial en sa compagnie, pour mieux exploiter de ses besoignes, monseigneur Aymon, son fils, comte de Cantebruge, monseigneur le comte de la Marche, monseigneur Thomas de Hollande, qui depuis fut comte de Quent en Angleterre, aîné fils de la princesse, le seigneur Despensier, qui pas n’étoit encore mort, mais il mourut au retour de ce voyage, le seigneur de Manne, messire Hugue de Hastingues, monseigneur Bryant de Staplelonne, messire Simon Burlé, monseigneur Richard de Ponchardon, monseigneur Thomas Tinfort, le seigneur de Basset, monseigneur Nicole Stamvort, monseigneur Thomas de Grantson et plusieurs autres. Si firent leurs pourvéances à Hamptonne et là montèrent en mer, et quand ils se partirent, ils avoient intention que de venir combattre sur mer la navie du roi de France qui gissoit devant Saint-Sauveur-le-Vicomte ; mais ils eurent vent contraire qui les bouta en Bretagne. Si prirent terre devant Saint-Mahieu de Fine Poterne, Sitôt que ils furent hors de leurs vaisseaux, ils se trairent devers le châtel qui sied au dehors de la ville. Si l’assaillirent fortement et durement, et le conquirent de force ; et furent tous cils morts[1] qui dedans étoient. Adonc se rendit la ville de Saint-Mahieu au duc de Bretagne. Si entrèrent les Anglois dedans la ville : si y atrairent leurs pourvéances là dedans et s’y rafraîchirent.

Or vinrent ces nouvelles au connétable, au seigneur de Cliçon et aux seigneurs et barons de France, de Normandie et de Bretagne qui devant Saint-Sauveur se tenoient, que le duc de Bretagne efforcément étoit arrivé à Saint-Mahieu, et avoit jà pris la ville et le châtel. Si eurent conseil entre eux comment il s’en pourroient chevir ; donc fut regardé, pour le meilleur et ségur état, que on envoieroit contre eux faire frontière trois cents ou quatre cents lances qui les ensonnieroient, et hériroient leurs coureurs, si ils s’abandonnoient de trop avant chevaucher au pays ; et toudis tiendroient-ils le siége devant Saint-Sauveur, et ne s’en partiroient, ainsi que en propos l’avoient, si l’auroient conquis. Adonc furent ordonnés principalement quatre barons de Bretagne, le sire de Cliçon, le vicomte de Rohan, le sire de Laval et le sire de Beaumanoir à faire frontière contre les Anglois. Si s’en vinrent à Lamballe, et là se tinrent.

Le duc de Bretagne, le comte de Cantebruge, le comte de la Marche, le sire Despensier et les barons et chevaliers d’Angleterre qui étoient arrivés à Saint-Mahieu de Fine Poterne, ne séjournèrent guère en la ville depuis qu’elle se fut rendue, mais s’en vinrent devant Saint-Pol de Léon et là s’arrêtèrent. Si l’assaillirent fortement et la prirent de force : si fut toute courue et exilée ; et de là ils s’en vinrent devant Saint-Brieu des Vaulx, une ville malement forte, et l’assiégèrent ; et avoient grand intention du prendre ; car ils mirent mineurs en œuvre qui se ahâtirent que, devant quinze jours, ils exploiteroient si bien que ils feroient renverser un tel pan de mur que sans danger ils entreroient bien en la ville.

Quand les Anglois qui dedans Saint-Sauveur étoient entendirent que le duc de Bretagne et le comte de Cantebruge, et grand’foison de seigneurs d’Angleterre, étoient efforcément arrivés en Bretagne, si en furent moult joyeux ; car ils en cuidèrent grandement mieux valoir et que par eux fut cil siége levé. Si s’avisèrent, car il leur besognoit, que ils traiteroient devers ces seigneurs de France afin que ils eussent un répit, un mois ou cinq semaines ; et si là en dedans ils n’étoient confortés ils rendroient la ville et le châtel de Saint-Sauveur. Au voir dire, ils ne pouvoient tenir en avant, car ils étoient si travaillés des engins qui nuit et jour jetoient, qu’ils

  1. Il débarqua à Saint-Mahé vers le commencement du carême suivant l’Histoire de Bretagne.