Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/763

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1374]
695
LIVRE I. — PARTIE II.

Cliçon et leur manda que ils se prissent pour être à la journée, si en vaudroit la besogne mieux : et aussi il vouloit que ses gens y fussent si forts que si les Anglois y venoient, qui de puissance voulsissent lever le siége, on les pût combattre.

Si très tôt que cils deux seigneurs furent signifiés du roi de France, ils le remontrèrent au duc d’Anjou, et le duc leur accorda de partir, et une quantité de leurs gens, et les autres demeurer. Si se départirent et exploitèrent tant par leurs journées qu’ils vinrent au siége de Becherel, où toutes gens d’armes s’armoient par l’ordonnance du roi de France, de Bourgogne, d’Auvergne, de Poitou, de Xaintonge, de Berry, de Champagne, de Picardie, de Bretagne et de Normandie ; et y eut là, au jour que la composition devoit clorre devant Becherel, plus de dix miile lances, chevaliers et écuyers ; et y vinrent les François si étoffément, pour tant que on disoit que le duc de Bretagne et le comte de Salsiberich étoient bien sur mer à dix mille hommes parmi les archers. Mais on n’en vit nul apparant ; de quoi cils de Becherel furent moult courroucés, quand si longuement que plus de quinze mois s’étoient tenus si vaillamment, et si n’étaient autrement confortés. Toutefois il leur convint faire et tenir ce marché, puisque juré et convenancé l’avoient, et que à ce ils s’étoient convenancés et obligés, et livré bons ôtages. Si rendirent et délivrèrent au connétable de France la dite forteresse de Becherel, qui est belle et grande et de bonne garde ; et s’en partirent messire Jean Appert et messire Jean de Cornouaille et leurs gens, et emportèrent ce qui leur étoit ; tout ce pouvoient-ils faire par le traité de la composition ; et s’en vinrent, sur le conduit du connétable, à Saint-Sauveur-le-Vicomte et là se boutèrent. Si recordèrent aux compagnons de laiens comment ils avoient fait aux François.

Si trèstôt que le connétable de France et le sire de Cliçon, et les deux maréchaux de France qui là étoient eurent pris la saisine et possession de Becherel, chaudement ils s’en vinrent mettre le siége devant Saint-Sauveur-le-Vicomte. Ainsi furent la ville et le château de Saint-Sauveur-le-Vicomte assiégés par mer et par terre. Si firent tantôt, cils barons de Bretagne qui là étoient, lever et dresser grands engins devant la forteresse, qui nuit et jour jetoient pierres et mangonneaux aux tours et aux créneaux de la ville et du châtel, qui durement les ennuyoit et travailloit. Et bien souvent, sur le jour, les chevaliers et écuyers de l’ost s’en alloient escarmoucher aux barrières à ceux de dedans ; et les compagnons de la garnison aussi se éprouvoient à eux. Si en y avoit souvent, par telles apertises d’armes, de morts, de navrés et des blessés. Quatreton, un hardi et appert homme d’armes, qui capitaine étoit de par monseigneur Alain de Bouqueselle, étoit durement curieux d’entendre à la forteresse ; car trop eût été courroucé, si par sa négligence ils eussent reçu dommage ni encombrier.

Avec lui étoient, et avoient été toute la saison, messire Thomas Trivet, messire Jean Bourcq et messire Philippe Pigourde, et les trois frères de Maulevrier qui aussi en tous états en faisoient bien leur devoir. Et si y étoient de rechef revenus messire Jean Appert et messire Jean Cornouaille et les compagnons, qui partis étoient de Becherel. Si se confortoiçnt l’un par l’autre ; et leur sembloit qu’ils étoient forts assez pour eux tenir un grand temps ; et pensoient que le duc de Bretagne par mer viendroit les rafraîchir, et combattre les François, ou à tout le moins le duc de Lancastre, qui étoit à Calais, les mettroit en son traité de trêves ou de répit ; parquoi les François ne seroient mie seigneurs d’une si belle forteresse que Saint-Sauveur est. Ainsi, en considérant ces choses à leur profit, se tenoient vaillamment les compagnons qui dedans étoient, et se donnoient du bon temps, car ils avoient vins et pourvéances. La chose du monde qui plus les grévoit c’étoient les grands engins qui continuellement, nuit et jour, jetoient ; car les grosses pierres de faix leur dérompoient et effondroient les combles et les tuiles des toits. Ainsi se tinrent-ils tout cel hiver, le duc d’Angou à Saint-Omer et le duc de Lancastre à Calais.


CHAPITRE CCCLXXXIII.


Comment le duc de Bretagne arriva en Bretagne où il prit plusieurs villes et châteaux par force, et des trêves qui furent données entre les rois de France et d’Angleterre et leurs alliés aussi.


Tant allèrent de l’un à l’autre, amoyennant les besognes, les deux prélats et légats dessus nommés que ils approchèrent ces traités, et que les deux ducs d’Anjou et de Lancastre se accordèrent