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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

France. Finablement ils y envoyèrent ; et rescripsit le roi à ses maréchaux, monseigneur Louis de Sancerre, et monseigneur de Blainville et les barons qui là étoient, que de toutes compositions ils en fissent à leur ordonnance, et que il les tenoit et tiendroit à bonnes. Donc fut persévéré le traité devant pourparlé, et accordé et donné répit à ceux de dedans, et cils de dedans à ceux de dehors, à durer jusques à la Toussaint ; et si là en dedans l’un des fils du roi d’Angleterre, ou le duc de Bretagne ne venoient si forts que pour lever le siége, ils devoient rendre le châtel de Becherel aux François ; et de ce livroient-ils bons ôtages, chevaliers et écuyers, tant que les seigneurs de France et de Normandie qui là se tenoient s’en contentèrent bien. Ainsi demeura le châtel de Becherel en composition, et signifièrent tout leur état les deux chevaliers qui dedans étoient, au plus tôt qu’ils purent, au roi d’Angleterre et au duc de Bretagne et aussi aux comtes et aux barons d’Angleterre : si sembla aux Anglois qu’ils avoient encore journée assez ; si le mirent en non-chaloir, excepté le duc de Bretagne auquel il touchoit plus que à nul des autres : car le châtel se rendoit de lui et de son héritage.


CHAPITRE CCCLXXX.


Comment les seigneurs de Haute Gascogne et le comte de Foix se mirent en l’obéissance du roi de France.


Or revenons à la journée de Monsach. Voir est que, quand la moyenne d’août dut approcher, le duc d’Anjou s’en vint devant la ville de Monsach et là se logea et fit loger ses gens par bonne et grande ordonnance ; et avoit en devant prié et mandé gens de tous côtés, chevaliers et écuyers, efforcément. Avec tout ce, le roi de France y envoya grands gens d’armes ; et me fut recordé que, trois jours devant la moyenne d’août et trois jours après, il y eut bien quinze mille hommes d’armes, chevaliers et écuyers, et bien trente mille d’autres gens. Nul ne se comparut ; car il n’y avoit nul grand chef au pays, excepté monseigneur Thomas de Felleton, qui fut trop grandement émerveillé de celle journée, et le débatit longuement et par plusieurs raisons ; et vint en l’ost, quand la moyenne d’août fut passée et la journée expirée, parler au duc d’Anjou et au connétable, sur asségurances ; et leur remontra bien et sagement que le duc de Lancastre et le duc de Bretagne avoient donné le répit parmi ce que la journée de Monsach devoit être ens enclose. Mais on lui prouva tout le contraire ; car à vérité dire il y eut trop peu parlé pour les Anglois ; car le traité de la composition ne faisoit point de mention de Monsach. Si convint monseigneur Thomas de Felleton, voulsist ou non, retourner à Bordeaux et souffrir cette chose à laisser passer. Ainsi avint en ce temps de ses arrière-fiefs. Le comte de Foix entra au service et en l’obéissance du roi de France, et tous les barons et les prélats qui dedans étoient ; et en prit le duc d’Anjou les fois et les hommages ; et quand il s’en sentit bien au dessus, il renvoya les ôtages qu’il tenoit en Pierregort, au comte de Foix, et puis s’en retourna à Thoulouse, quand il eut pris la saisine et la possession de la ville et châtel de Monsach que moult recommanda en son cœur, et le fit depuis remparer et rapparailler, et dit que de Monsach il feroit sa chambre et son garde corps.

Tantôt après la revenue de Monsach à Thoulouse, et que le duc d’Anjou et les barons qui avec lui étoient s’y furent un petit réposés, le dit duc remit sus une autre chevauchée de ces propres gens qu’il avoit tenus toute la saison, et dit qu’il voudroit chevaucher vers la Réole et vers Auberoche, car là étoit encore un grand pays à conquerre qui ne désiroit autre chose. Si se partit de Toulouse le septième jour de septembre l’an de grâce mil trois cent et soixante-quatorze, aussi étoffément et plus que quand il fut en la Haute Gascogne ; et étoient avec lui, par manière de service, l’abbé de Saint-Silvier, le vicomte de Castelbon, le sire de Châtel-Neuf, le sire de l’Escun et le sire de Marsan ; et firent tant par leurs journées qu’ils vinrent devant la Réole. Tout le pays trembloit devant. Cils de la Réole, qui ne désiroient autre chose qu’ils fussent François, s’ouvrirent tantôt et se mirent en l’obéissance du roi de France. Aussi firent cils de Langon, de Saint-Maquaire, de Condon, de Sainte-Bazille, de Pertudaire, de Mauléon, de Dion, de Sebillac, et bien quarante que villes fermées que forts Châteaux qui à point de fait se tournèrent. Et la darraine ville ce fut Auberoche. Ni rien ne se tenoit ni duroit en celle saison devant les François ; et légère chose étoit à faire, car ils désiroient à eux rendre, et si ne leur alloit nul au devant.