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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

duc d’Anjou et le connétable, et remontra moult sagement que c’étoit un homme d’église, qui n’étoit mie taillé ni en volonté de guerroyer, et que ils n’étoient pas singulièrement venus pour lui, mais pour autres seigneurs qui étoient plus grands de lui ; si leur prioit que ils voulsissent chevaucher outre et laisser sa terre en composition, et que il feroit très volontiers tout ainsi que les autres. Le duc d’Anjou et les seigneurs regardèrent qu’il disoit assez. Si le firent obliger, selon sa parole, et livrer bons plèges que on envoya à Pierregort, et jurer que si les autres se mettoient en l’obéissance du roi de France, il s’y mettroit aussi ; et par ainsi demeura-t-il en souffrance et toute sa terre.

Puis chevauchèrent ces gens d’armes, noblement et richement montés et en grand arroy, et exploitèrent tant que ils vinrent devant une cité qui s’appelle Lourdes, de laquelle un chevalier étoit capitaine de par le comte de Foix qui s’appeloit messire Ernault de Berne. Là s’arrêtèrent toutes ces gens d’armes, et le assiégèrent fortement et étroitement, et y furent plus de quinze jours, et y firent dresser leurs engins pardevant, qui jetoient ouniement et qui ceux de dedans moult travailloient. Trop volontiers se fussent rendus les gens de Lourdes, mais le chevalier ne le vouloit consentir, et disoit qu’ils étoient forts assez pour eux tenir. Mais finablement non furent, car la ville fut assaillie si très fort et par si grand ordonnance que elle fut prise et conquise, et entrèrent toutes gens d’armes et autres : si fut le dit chevalier mort, car oncques ne se voult rendre, et trop vaillamment se défendit. Si fut la cité de Lourdes toute courue et pillée, et y eut morts grand’foison de bons hommes et pris à rançon.

Après la conquête et destruction de la cité de Lourdes, chevauchèrent ces gens d’armes et leurs routes outre, et entrèrent en la terre du vicomte de Chastelbon[1] : si fut toute courue, arse et détruite ; car les François étoient si grand’foison que nul ne leur alloit au devant. Et puis entrèrent en la terre le seigneur de Chastelneuf[2] : si fut toute courue aussi sans point épargner. Puis chevauchèrent amont vers Berne ; et vinrent devant une ville et un fort castel que on dit Sault, dont messire Guillonet de Pans, de la comté de Foix, étoit capitaine, appert homme d’armes durement : si se arrêtèrent là les François et y mirent le siége, et y furent moult longuement, et plusieurs grands assauts y firent et livrèrent.

Le comte de Foix, qui étoit en son pays, regarda que cil pays de ses arrières fiefs se perdoit ; et bien savoit que il en devoit hommage ou au roi de France ou au roi d’Angleterre, mais il n’étoit mie encore discerné auquel des deux ce devoit être ; si eut avis et conseil de traiter devers le duc d’Anjou et son conseil, et prier que il voulsist mettre ces choses en souffrance, et ces terres en composition, parmi tant que cil qui seroit le plus fort dedans la moyenne août devant Monsach en Gascogne[3],

  1. Il est probable que ceci doit s’entendre, non de la vicomté de Castelbon, qui est située au-delà des Pyrénées, mais de la ville de Mauvoisin ou de quelques autres seigneuries que le vicomte de Castelbon tenait du roi d’Angleterre, en Bigorre.
  2. Sans doute Castelnau. Il y a plusieurs lieux de ce nom en Gascogne et eu Bigorre.
  3. L’Histoire de Languedoc pense qu’au lieu de Monsach ou plutôt Moissac, il faudrait lire Marziac, place du diocèse d’Auch, vers la frontière de Bigorre, dont le connétable avait vraisemblablement formé alors le siége. Cette conjecture paraît d’autant plus probable, qu’on a vu précédemment, au chap. CCCX, que Moissac s’était soumise au duc d’Anjou, au mois de juillet 1370. Mais outre que les Anglais pouvaient s’en être emparés de nouveau, ou les habitans s’être soustraits à la domination française, une autre raison m’empêche de l’admettre. On trouve dans Rymer les pleins pouvoirs donnés par le duc d’Anjou, le 17 mars, à trois personnes de son conseil pour traiter avec le comte de Foix et avec ceux à qui le fait touche (c’est-à-dire, sans doute, le duc de Lancastre et les plénipotentiaires), afin de suspendre et alonger la journée par nous emprise (c’est le duc d’Anjou qui parle) à lendemain de Pâques prochain venant, entre les villes de Montalban et de Moissac et les rivières de Garonne et de Tarn, à autre journée et à autre temps. On ne peut, ce me semble, ne pas reconnaître dans ces expressions la journée dont parle Froissart, qui fut d’abord assignée au lendemain de Pâques et remise ensuite au 18 d’août. Cependant l’historien de Languedoc n’y a vu qu’un rendez-vous avec le comte de Foix, pour traiter des affaires de Gascogne, et non une journée de bataille entre les Français et les Anglais. Il aurait sans doute pensé différemment s’il avait combiné cette pièce avec le récit de Froissart et celui de Walsingham qui dit decimo die aprilis… erat dies belli præfixus inter ipsum (le duc de Lancastre) et ducem Andegaviæ juxtà civitatem Tolosam. Or, Pâques était cette année le 2 avril ; ainsi le 10 était le lendemain de Quasimodo, jour où finissait la Pâque, et par conséquent le lendemain de Pâques. La journée dont il est question dans la pièce que je viens de citer, est donc la