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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

ils trouvèrent le seigneur de Chin, qui un petit devant étoit entré en la ville par une autre partie, à bien quarante lances et vingt arbalêtriers. Si comme ces trois chevaliers étoient sur la place de la ville devant le châtel, et que plusieurs de leurs gens étoient retraits à l’hôtel et se désarmoient, ils ouïrent la guette du châtel qui cornoit à gens d’armes qui approchoient la ville. Lors se trairent ensemble et demandèrent à la guette par semblant combien ils pouvoient bien être : il répondit : « Environ quatre vingt hommes d’armes. » Lors dit le sire de Bousies : « Si les irons combattre. Ce seroit blâme pour nous de les laisser aller courre si près de notre forteresse. » Le sire de Chin dit : « Vous dites voir, beau fils, faites traire hors nos chevaux et développer ma bannière. » Lors dit messire Jean de Bueil : « Seigneurs, vous n’irez point sans moi ; mais je conseillerois que nous y allissions un petit plus mûrement ; espoir sont-ce gens d’armes coureurs, que les maréchaux d’Angleterre ou le connétable envoient courir ci-devant pour nous attraire de notre garnison. Si nous pourroit bien notre issue si chaudement faite tourner à folie. » Le sire de Bousies dit : « Si j’en suis cru, nous les irons combattre et brièvement ; quoi qu’il en avienne je irai. » Lors remit son bassinet et restreignit ses plates ; puis issirent. Et pouvoient être environ six vingt combattans, et les Anglois environ quatre vingt, et étoient de la route messire Hue de Calverlée ; mais le dit messire Hue étoit demeuré de-lez le duc de Lancastre. Mais il y avoit jusques à six chevaliers et grand’foison d’écuyers ; et étoient venus pour contrevenger leurs compagnons qui avoient été rués jus.

Sitôt que les François furent hors de la porte, ils trouvèrent les Anglois qui baissèrent leurs lances et se férirent roidement entre les François qui se ouvrirent ; et passèrent parmi. Adonc fit si grande poudrière que à grand’peine reconnoissoient-ils l’un l’autre. Les François qui avoient été ouverts se remirent ensemble et commençèrent à crier : Notre-Dame ! Ribeumont ! Là eut maint homme renversé d’un lez et d’autre. Le sire de Chin tenoit une plombée dont il effondroit durement les bassinets qu’il atteignoit ; car il étoit grand et fort chevalier, et bien formé de tous membres ; mais il fut tellement féru sur son bassinet qu’il chancela ; et fut chu s’il n’eût été soutenu d’un éçuyer ; lequel étonnement le gréva puis grandement tant qu’il vesqui. Là eut plusieurs Anglois qui étoient émerveillés de ce qu’ils véoient son pennon semblable aux armes, sans différence, du seigneur de Coucy ; et disoient : « A envoyé le sire de Coucy çà ses gens, et il nous dût être ami. » Mais puis se déportèrent d’ardoir et de faire nul dommage en terre du seigneur de Coucy quand ils sçurent qu’il étoit pour ce temps en Lombardie. Là eut dur poignis et bien combattu ; mais finablement furent morts ou pris les Anglois, et peu s’en sauvèrent. Et eut le sire de Bousies pour lui les deux frères de Pennefort, un chevalier et un écuyer, et messire Jean de Bueil en eut deux autres. Puis rentrèrent les chevaliers et les écuyers en Ribeumont et là amenèrent leurs prisonniers ; ce fut environ heure de remontière. Et tantôt à heure de vêpres les deux ducs et leurs grandes routes furent toutes rangées devant Ribeumont.

Si étoient moult courroucés les Anglois de ce que on avoit combattu leurs compagnons, morts et pris, et point n’y avoient été. À lendemain au matin ils passèrent outre, sans plus rien faire, et prirent le chemin de Laon. Quand cils de Ribeumont virent que ils passèrent outre et que point ne auroient d’assaut, si vidèrent par une poterne et chevauchèrent à la couverte, hors du chemin, messire Jean de Bueil et sa route, et messire Gérard, et le sire de Poix, et messire Jean de Fosseux, et plusieurs compagnons de la Marche qui au rencontre de sous Ribeumont avoient été, et firent tant que ils vinrent sur le mont de Laon où ils furent reçus à grand’joie.


CHAPITRE CCCLXXII.


Des François et des Anglois qui s’encontrèrent et qui s’entre-combattirent de-lez Soissons et Ouchy.


Le duc de Lancastre et le duc de Bretagne, et leurs routes, s’en vinrent loger à Vaulx dessous Laon, et s’y tinrent trois jours ; et s’y rafraîchirent eux et leurs compagnons ; car ils trouvèrent la marche grasse et pleine de tous vivres, car il étoit en temps de vendanges. Et si rançonnoient le pays et gros villages à non ardoir, parmi vin et sacs de pain, et bœufs et moutons que on leur apportoit et amenoit en