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LIVRE I. — PARTIE II.

qui mandés étoient du roi mirent le temps et les jours de retourner de Bretagne, en France et d’avoir leur établissement et savoir leur ordonnance où chacun devoit aller, employèrent aussi leur temps grandement le duc de Lancastre et le duc de Bretagne, et leurs gens, d’entrer en France et de courir le pays six lieues de large à deux ailes de leur ost, pour plus largement trouver vivres et pourvéances ; car ils n’en prenoient nulles des leurs, mais qu’ils en sçussent recouvrer des nouvelles où que fût.


CHAPITRE CCCLXXI.


Des Anglois et François qui s’entre-combattirent devant Ribeumont.


Ainsi passoient les Anglois le pays, et furent devant Aire, et escarmouchèrent aux barrières, et puis retournèrent amont devers la comté de Saint-Pol, en chevauchant en Artois. Si ardirent une partie de la comté de Saint-Pol ; et furent devant la ville de Dourlens, et y livrèrent grand assaut, et se mirent les dits Anglois en grand’peine pour la conquerre et pour l’avoir ; car ils la sentoient riche de l’avoir du pays qui là étoit retrait et apporté ; et si n’étoit pas, ce leur sembloit, tenable à tant de gens d’armes qu’ils étoient. On veut bien dire et maintenir que ils l’eussent eue et conquise de force, si n’eussent été les gentils hommes du pays qui là dedans étoient retraits et qui avoient ouï dire qu’ils auroient l’assaut. Si passèrent les Anglois outre quand ils eurent là fait leur emprise, et chevauchèrent vers la cité d’Arras. Et y vinrent les deux ducs auxquels tout le demeurant obéissoit, loger ; et se arrêtèrent en l’abbaye du mont Saint-Éloy, à deux lieues petites de la cité d’Arras. Là se reposèrent et rafraîchirent un jour et deux nuits, et puis chevauchèrent outre, en prenant le chemin de la rivière de Somme, et firent tant qu’ils vinrent à Bray sur Somme. Là s’arrêtèrent-ils et mirent en ordonnance pour l’assaillir ; et l’approchèrent toutes gens, et y eut moult grand assaut ; et là fut le chanoine de Robersart bon chevalier, et fit, en joutant à une porte aux gens d’armes qui là étoient, plusieurs apertises d’armes ; et eût été pris et retenu si n’eût été un sien écuyer qui s’appeloit Esperon ; car il fut abattu entre pieds, à l’entrée de la porte, et le tiroient ens les François qui là étoient ; mais le dit écuyer, en joutant de son glaive et monté sur son coursier, recula tous ceux qui là étoient en la ville et en abattit, ne sais, cinq ou six.

En la dite ville de Bray sur Somme avoit adonc grand’foison de chevaliers et d’écuyers de là environ ; et tous s’y étoient retraits, car bien savoient que c’étoit le passage des Anglois, ni oncques ne passèrent en France que ils ne tinssent ce chemin.

Toutefois ils ne conquirent rien adonc à Bray. Si prirent leur retour vers Saint-Quentin, et entrèrent en ce beau et plein pays de Vermandois. Si frémissoient toutes gens devant eux ; et rançonnoient villes et pays à non ardoir et à vivres ; et cheminoient si petites journées que trois ou quatre lieues le jour. De Saint-Quentin étoit capitaine messire Guillaume des Bordes ; et là le trouva le sire de Bousies qui s’en alloit à Ribeumont pour aider à garder la forteresse, car il y avoit part de par sa femme, la fille au seigneur de Chin. Si lui pria que il lui voulsist délivrer dix arbalêtriers. Messire Guillaume le fit volontiers. Si issirent hors de la ville à la porte que on ouvrit et qui ouvre vers Laon ; et n’eurent point cheminé deux lieues, quand ils trouvèrent messire Jean de Bueil qui s’en alloit à Laon pour en être capitaine. Là le envoyoit le roi de France. Si se firent grandes reconnoissances ces chevaliers quand ils se trouvèrent ; et parlementèrent sur les champs ensemble. Et entendit monseigneur Jean de Bueil que les Anglois devoient passer ce jour dalez Ribeumont ; si dit qu’il iroit là avec le seigneur de Bousies : si chevauchèrent encore avant. Ainsi comme ils étoient à demi-lieue petite de Ribeumont, et jà avoient envoyé un de leurs coureurs pour informer ceux de la ville que ils fussent recueillis et qu’ils venoient là pour aider à garder la ville, ils virent naître et approcher une route d’Anglois qui étoit la maisnie et les armes et le charroi de messire Hue de Cavrelée, où y avoit bien, par semblant, quatre vingts hommes, tous bien montés. Lors dirent les François : « Véez-ci nos ennemis qui viennent de piller ; or leur allons au devant ! » Adonc brochèrent-ils chevaux des éperons, chacun le mieux qu’il pouvoit, en écriant : « Notre-Dame ! Ribeumont ! » et s’en vinrent férir sur ces Anglois qu’ils déconfirent ; et occirent la plus grand’partie ; et ceux tous heureux qui purent échapper. Et quand les François eurent rué jus ces Anglois, ils vinrent à Ribeumont où