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LIVRE I. — PARTIE II.

dirai comment. Au commencement de l’assaut il s’en vint jusques aux barrières, la coiffe d’acier en la tête tant seulement, et dit ainsi à ceux de Hainebont, en faisant signe de la main : « Dieu le veut ! hommes de la ville qui là dedans êtes, nous vous aurons, encore envis, et entrerons en la ville de Hainebont si le soleil y peut entrer ; mais sachez, s’il y en a nul de vous qui se montre pour mettre à deffense, nous lui ferons sans déport trancher la tête, et tout le demeurant de la ville, hommes, femmes et enfans pour l’amour de celui. » Cette parole effréa si les hommes Bretons de la ville de Hainebont que il n’y eut onques puis-ce-di homme qui se osât montrer ni apparoir pour mettre à deffense ; ainçois se trairent tous ensemble et dirent aux Anglois : « Seigneurs, nous n’avons mie intention de nous tenir contre le connétable ni les seigneurs de Bretagne : nous sommes céans un petit de povres gens qui ne pouvons vivre dans le danger du pays : toutes fois nous vous ferons tant d’honneur, car vous êtes vous tous compagnons, que de nous n’aurez vous garde ni ne serez grevés ni aidés ; et sur ce ayez avis. » Quand le capitaine et les Anglois oyrent ces nouvelles, si ne leur furent mie trop plaisans ; et se trairent ensemble ; et conseillèrent, tout considéré et imaginé, au cas que ils ne seroient confortés et aidés de ceux de Hainebont, qu’ils n’étoient mie gens pour eux tenir contre un tel host que le connétable avoit là devant eux. Si eurent conseil entr’eux que ils traiteroient un accord aux François, que ils rendroient la ville et on les lairoit partir, sauves leurs vies et le leur. Si envoyèrent un héraut devers le connétable, qui remontra toutes ces besognes et raporta un sauf-conduit : que le capitaine de Hainebont et quatre des siens pouvoient ségurement aller en l’ost pour ouïr et savoir plus pleinement quelle chose ils vouloient dire. Sur cette sauve-garde Thommelin Wick et quatre de ses compagnons vinrent devant les barrières parler aux seigneurs de ost. Là se porta traité et composition : que tous les Anglois qui dedans Hainebont étoient, et aussi tous les Bretons qui l’opinion du comte de Montfort tenoient, se pouvoient ségurement partir, eux et le leur, et traire dedans Brest et non autre part. Ainsi eut le connétable de France, par son sens non par grand fait, la ville et le châtel de Hainebont, dont il ne voulsist pas tenir cent mille francs ; et s’en partirent les Anglois sur bon conduit, et emportèrent tout le leur, et vinrent à Brest.


CHAPITRE CCCLXVI.


Comment le connétable de France prit plusieurs villes et forteresses en Bretagne ; et comment il composa avec ceux de Derval et entra dedans Nantes.


Après le conquêt de la ville et du châtel de Hainebont, les seigneurs ni le connétable ne eurent mie conseil de traire devant Brest, car bien savoient qu’ils perdroient leur peine ; mais se avisèrent que ils se retrairoient tout bellement devers la cité de Nantes, en côtiant la rivière de Loire et en conquérant et en mettant en leur subjection et ordonnance encore aucunes villes et châteaux qui là étoient. Si laissèrent deux chevaliers bretons à capitaines en la ville de Hainebon, et grands gens d’armes, et puis s’en partirent. Si prirent le chemin de Nantes selon la rivière de Loire, et mirent tout le pays en leur obéissance que ils trouvèrent. Ni oncques nul n’y fut rebelle ; car si ils l’eussent trouvé, la commission du roi de France étoit telle : que il vouloit sans mercy, que tous rebelles fussent punis à mort.

En ce temps faisoit le duc d’Anjou un grand mandement pour venir mettre le siége devant la Roche sur Yon que les Anglois tenoient, laquelle garnison siéd sur les marches d’Anjou. Aussi les Anglois, qui dedans Brest étoient, eurent conseil et avis que ils se retrairoient en mer, puisque le connétable de France et les François les éloignoient, et s’en iroient reposer et rafraîchir vers Gredo et vers Garlande ; et si la navie de France passoit, ou des Espaignols, où ils se pussent employer, ils se combattroient ; car aussi les pourvéances de Brest commençoient à amoindrir, car ils étoient trop de gens. Si rechargèrent la dite forteresse à monseigneur Robert Canolles, et rentrèrent en mer sur leur navie ; et ne menoient avec eux nuls chevaux. Avec le gentil comte de Sallebrin étoient d’Angleterre : le sire de Lusi, le sire de Neufville, messire Guillaume de Neufville, le sire de Miltonne, le sire de Fit-Watier, messire Brian de Stapletonne, messire Richard de Pontchardon, messire Jean d’Éverues, messire Thomas le Despensier et plusieurs autres bons chevaliers et écuyers. Trop s’étoient cils dits seigneurs repentis qui s’étoient tenus à Saint-Malo et à