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LIVRE I. — PARTIE II.

leurs ennemis. Là crioient les Bretons : Notre Dame ! Claiquin ! et les Anglois : Saint George ! Guienne ! Là furent très bons chevaliers du côté des Anglois, messire Jean d’Éverues, messire d’Angousse, messire Joffrois d’Argenton et messire Aymery de Rochechouart ; et se combattirent vaillamment et y firent plusieurs grands appertises d’armes. Aussi firent Jean Cresuelle, Richard Holmes et David Hollegrave. Et de la partie des François, premièrement messire Bertran de Claiquin, messire Alain et messire Jean de Beaumanoir qui tenoient sur une èle, et messire Joffroi Quaremiel sur l’autre ; et reconfortoient grandement leurs gens à l’endroit où ils véoient branler ; et ce rafraîchit grandement leurs gens ; car on vit plusieurs fois qu’ils furent boutés et reculés en grand péril d’être déconfits.

De leur côté se combattirent encore vaillamment monseigneur Joffrois Ricon, monseigneur Yvain Laconnet, Thibaut du Pont, Sylvestre Bude, Alain de Saint-Pol et Aliot de Calais. Cils Bretons se portèrent si bien pour la journée, et si vassaument combattirent leurs ennemis, que la place leur demeura, et obtinrent la besogne ; et furent tous ceux morts ou pris qui là étoient venus de Niort ; ni oncques nul n’en retourna ni échapa. Si furent pris de leur côté tous les chevaliers et écuyers de nom ; et eurent ce jour les Bretons plus de trois cents prisonniers, que depuis ils rançonnèrent bien et cher ; et si conquirent tout leur harnois où ils eurent grand butin. Cette bataille fut l’an de grâce mille trois cent soixante-douze, le vingt unième jour de mars[1].


CHAPITRE CCCLXII.


Ci parle de la prise de Niort, Luzignan et Mortemer par messire Bertran du Guesclin, et de la dame du châtel Achard, comment elle obtint respit.


Après cette déconfiture, qui fut au dehors de Chisech faite de monseigneur Bertran de Claiquin et des Bretons sur les Anglois, se parperdit tout le pays de Poitou pour le roi d’Angleterre, si comme vous orrez en suivant. Tout premièrement ils entrèrent en la ville de Chisech où il n’eut nulle deffense, car les hommes de la ville ne se fussent jamais tenus, au cas que ils avoient perdu leur capitaine ; et puis se saisirent les François du châtel, car il n’y avoit que varlets, qui le rendirent tantôt, sauves leurs vies. Ce fait, incontinent et chaudement ils s’en chevauchèrent par devers Niort, et emmenèrent la greigneur partie de leurs prisonniers avec eux. Si ne trouvèrent en la ville fors les hommes, qui étoient bons François si ils ossassent, et rendirent tantôt la ville et se mirent en l’obéissance du roi de France[2]. Si se reposèrent là les Bretons et les François et rafraîchirent quatre jours. Entrues vint le duc de Berry à grands gens d’armes d’Auvergne et de Berry en la cité de Poitiers. Si fut grandement réjoui quand il sçut que leurs gens avoient obtenu la place et la journée de Chisech et déconfit les Anglois, qui tous y avoient été morts ou pris.

Quand les Bretons furent rafraîchis en la ville de Niort par l’espace de quatre jours, ils s’en partirent et chevauchèrent devers Luzignan. Si trouvèrent le châtel tout vuide, car cils qui demeurés y étoient de par monseigneur Robert Grenake qui étoit pris devant Chisech, s’en étoient partis si tôt qu’ils sçurent comment la besogne avoit allé. Si se saisirent les François du beau châtel de Lusignan ; et y ordonna le connétable châtelain et gens d’armes pour le garder. Et puis chevaucha outre a tout son host, pardevers le Châtel-Acart où la dame de Plainmartin, femme à monseigneur Guichart d’Angle, se tenoit ; car la forteresse étoit sienne.

Quand la dessus nommée dame entendit que le connétable de France venoit là efforcément pour lui faire guerre, si envoya un héraut devers lui, en priant que, sur asségurance, elle pût

  1. L’an 1373, suivant notre manière de commencer l’année au 1er janvier. L’auteur de la vie de Louis III, duc de Bourbon, place ce combat de Chisey et le retour de du Guesclin à Paris avant avril 1372 ; mais ce biographe n’a écrit, comme il le dit lui-même dans son prologue, que cinquante ans après l’événement, et le témoignage de Froissart, qui fournit jusqu’à la date du jour, paraît plus digne de foi.
  2. S’il faut en croire les historiens de du Guesclin, il s’empara de Niort par surprise. Les Anglais de la garnison de cette ville, disent-ils, avant d’en partir pour aller faire lever le siége de Chisey, avoient vêtu pardessous leurs armes, pour François ébahir, une tunique de toile rayée d’une croix rouge pardevant et parderrière. Du Guesclin, après les avoir tous tués, ou fait prisonniers, comme on vient de le voir, fit prendre à ses troupes les mêmes tuniques et s’avança vers Niort. Les Anglais, qui étaient restés dans la place, ne doutant pas, à cet aspect et aux cris de Saint-Georges que poussait l’armée de du Guesclin, que ce ne fussent leurs camarades qui revenaient vainqueurs, ouvrirent les portes, et furent bientôt pris ou tués.