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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

chose que d’eux rendre, puisque le roi d’Angleterre ou l’un de ses fils ne seroit à la bataille que les Gascons vouloient avoir personnellement. En ce conseil avoit grand’voix le sire de Partenay ; et voult celle fois que on acceptât la journée des Gascons ; et y montroit voie de droit et de raison assez, par deux conditions : la première étoit, que ils savoient de vérité, et étoit ce tout notoire, que le roi d’Angleterre et ses enfans et la greigneur partie de leur puissance, étoient sur mer, et que fortune leur avoit été si contraire que ils n’avoient pu ni pouvoient arriver ni prendre terre en Poitou, dont ils devoient bien y être excusés, car outre pouvoir n’est rien. La seconde raison étoit que : quoique ils eussent juré et scellé aux François, ils ne pouvoient l’héritage du roi d’Angleterre donner, aliéner ni élever aucunement aux François sans son gré. Ces paroles et raisons proposées du dit baron de Partenay étoient bien spécifiées et examinées en ce conseil ; mais tantôt on y remettoit autres raisons qui toutes les affoiblissoient. Dont il avint que le sire de Partenay sit un jour du parlement, et dit que il demeureroit Anglois, et s’en revint à son hôtel. Mais le sire de Poiane et le sire de Tonnai-Bouton le vinrent, depuis qu’il fut refroidi, requerre, et l’emmenèrent de rechef, où tous les consaux étoient. Là lui fut dit et remontré tant de l’un puis de l’autre, que finablement il s’accorda à tous leurs traités ; et s’excusèrent moult bellement et sagement par lettres envers les barons et les chevaliers Gascons et Anglois qui à Niort se tenoient et qui leur réponse attendoient. Si leur reporta un héraut ; et envoyèrent, avec leurs lettres scellées, la copie du traité, ainsi que ils le devoient tenir aux François, pour mieux colorer leur excusance. Quand les Gascons et les Anglois virent qu’ils n’en auroient autre chose, si furent moult courroucés ; mais pour ce ne se départirent-ils mie si très tôt de Niort : ainçois se tinrent-ils là bien un mois, pour savoir encore plus à plein comment les François se maintiendroient. Tantôt après ce parlement parti et finé, qui fut en la ville de Thouars, les barons et les chevaliers qui là étoient, mandèrent au duc de Berry, au duc de Bourgogne, au duc de Bourbon et au connétable de France qu’ils étoient tous appareillés de tenir ce que promis et scellé avoient. De ces nouvelles furent les seigneurs de France tout joyeux, et chevauchèrent devers Thouars à grand’joie ; et se mirent eux et leurs gens et leurs terres en l’obéissance du roi de France.


CHAPITRE CCCLVIII.


Comment le seigneur de Cliçon mit le siége devant la forteresse de Mortaigne.


Ainsi se tournèrent tous cils de Poitou ou en partie François, et demeurèrent en paix. Et encore se tenoient Anglois avec Niort, et se tinrent toute la saison, Chisech, Mortaigne sur mer, Mortemer, Chastel-Achart, la Roche sur Yon, Gensay, la Tour de la Breth, Merspin et Dieunée. Quand ces seigneurs de France eurent fait leur emprise et pris la possession de la ville de Thouars, le duc de Berry, le duc de Bourgogne et la greigueur partie des hauts barons de France se départirent et retournèrent en France, et le connétable s’en vint à Poitiers. À ce département le sire de Cliçon s’en vint mettre le siége devant Mortagne à toute sa charge de gens d’armes, et se logea par devant, et leur promit que jamais de là ne partiroit si les auroit, si trop grand’infortunité ne lui couroit sus. De la garnison de Mortaigne étoit capitaine un écuyer d’Angleterre qui s’appeloit Jacques Clercq qui frisquement et vassalement se défendoit quand ces Bretons l’assailloient. Quand le dit écuyer vit que c’étoit acertes, et que le sire de Cliçon ne les lairroit point si les auroit conquis, et sentoit que sa forteresse n’étoit pas bien pourvue pour un long siége, et savoit encore tous ces chevaliers de Gascogne et les Anglois à Niort, il s’avisa que il leur signifieroit. Si leur signifia secrètement par un varlet, que il mît de nuit hors de sa forteresse tout l’état en partie du seigneur de Cliçon et le sien aussi. Ces barons et ces chevaliers gascons et anglois furent moult réjouis de ces nouvelles et dirent qu’ils n’en voudroient pas tenir quarante mille francs ; tant désiroient-ils le seigneur de Cliçon à trouver sur ce parti. Si s’armèrent et montèrent aux chevaux, et issirent de Niort bien cinq cents lances, et chevauchèrent couvertement devers Mortaigne. Le sire de Cliçon, comme sage et bon guerrier, n’étoit pas à apprendre d’avoir espies sur le pays pour savoir le convenant de ses ennemis, et encore quand il les