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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

femme messire Jean Harpedane se tenoit, et avec li plusieurs bons compagnons qui ne furent à ce commencement effréés de tenir la forteresse contre les François.

Quand le duc de Berry et les autres ducs, et le connétable de France, furent venus devant Fontenay le Comte en Poitou, si assiégèrent la ville et le châtel par bonne ordonnance, et ceux qui dedans étoient ; et puis ordonnèrent engins et manière comment ils les pourroient conquerre. Si y firent plusieurs assauts le terme qu’ils y furent ; mais ils ne l’avoient mie d’avantage, car ils trouvèrent ceux de la garnison apperts et légers, et bien ordonnés pour eux deffendre. Si y eut là, devant la ville de Fontenay, plusieurs assauts, escarmouches et grands appertises d’armes, et moult de gens blessés, car presque tous les jours y avoient aucuns faits d’armes par deux ou trois estours ; si ne pouvoit remanoir que il n’en y eût des blessés. Et vous dis que si cils de Fontenay sentissent ni eussent espérance que ils pussent être confortés dedans trois ou qüatre mois, de qui que ce fût, par mer ou par terre, ils se fussent assez tenus, car ils avoient pourvéances à grand’foison. Si étoient en forte place. Mais quand ils imaginèrent le péril, que ils étoient là enclos, et que de jour en jour on leur promettoit que si de force pris étoient ils seroient tous morts et sans merci, et si ne leur apparoit confort de nul côté, ils s’avisèrent et entendirent aux traités du connétable, qui furent tels : que ils se pouvoient partir, si ils vouloient, et emporter tout le leur, et seroient conduits jusques à Thouars où tous les chevaliers de Poitou se tenoient et étoient là recueillis. Cil traité passa et fut tenu ; et se partirent cils de Fontenay qui Anglois étoient ; et emmenèrent leur dame avec eux ; et se retrairent, sur le conduit du connétable, en la ville de Thouars où ils furent recueillis. Ainsi eurent les François Fontenay le Comte, la ville et le châtel, et y ordonnèrent à capitaine un chevalier, à vingt lances dessous lui, qui s’appeloit messire Renault de Larzi ; et puis retournèrent devers la cité de Poitiers et exploitèrent tant qu’ils y vinrent.


CHAPITRE CCCLVII.


Comment les François mirent le siége devant Thouars ; et comment le roi d’Angleterre se mit en mer pour venir en Poitou lever leur siége.


Quand cils seigneurs de France furent retraits à Poitiers, et rafraîchis par quatre jours, et leurs chevaux, ils eurent conseil qu’ils ne s’en partiroient, et s’en iroient devant Thouars, où tous les chevaliers de Poitou se tenoient, cils qui soutenoient l’opinion du roi d’Angleterre ; et bien y en avoit cent, uns et autres ; et mettroient le siége ; et ne s’en partiroient si en auroient une fin, ou ils seroient tous François ou tous Anglois. Si se partirent en grand arroy et bien ordonnés, de la cité de Poitiers ; et étoient bien trois mille lances, chevaliers et écuyers, et quatre mille à pavois, parmi les Gennevois. Si chevauchèrent tant ces gens d’armes que ils vinrent devant Thouars où ils tendoient à venir. Si ordonnèrent et établirent tantôt leur siége grand et bel, et tout à l’environ de la ville et du châtel ; car bien étoient gens pour ce faire ; et ne y laissoient nullui entrer, ni issir ; ni point n’assailloient, car bien savoient que par assaut jamais ne les auroient ; car là dedans avoit trop de bonnes gens d’armes ; mais ils disoient que là tant seroient que ils les affameroient, si le roi d’Angleterre de sa puissance, ou ses enfans ne venoient lever le siége. Quand les barons et les bacheliers qui là dedans enclos étoient, tels que messire Louis de Harecourt, le sire de Parthenay, le sire de Tarste, messire Hugues de Vivone, messire Aymery de Rochechouart, messire Percevaux de Couloingne, messire Regnaut de Thouars, le sire de Roussillon, messire Guillaume de Crupegnac, messire Joffroy d’Argenton, messire Jacques de Surgières, messire Jean d’Angle, messire Guillaume de Montendre, messire Maubrun de Linières, et plusieurs autres que je ne puis mie tous nommer, perçurent la manière et imaginèrent l’arroy et l’ordonnance des François, comment ils étoient là traits et se fortifioient, et multiplioient tous les jours, si eurent sur ce avis et conseil, car bien véoient que cils seigneurs qui assiégés les avoient, ne se partiroient si en auroient leur volonté et entente, ou en partie. Si dit messire Percevaux de Couloingne, qui fut un sage et imaginatif chevalier, et bien enlangagé, un jour qu’ils étoient tous ensemble en