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LIVRE I. — PARTIE II.

eux, et les Anglois la leur, et les Gascons la leur, et se retraissent en leurs garnisons ; et quand ils voudroient chevaucher et ils voudroient bien employer leur chevauchée, ils le signifieroient l’un à l’autre et ils se trouveroient appareillés. Cette ordonnance fut tenue ; et se départirent moult amiablement l’un de l’autre ; et prirent les dits Poitevins le chemin de Thouars, et les Gascons le chemin de Saint-Jean l’Angelier, et les Anglois le chemin de Niort. Ainsi se dérompit cette chevauchée. Les Anglois, qui chevauchoient tout ensemble, quand ils cuidèrent entrer en la ville de Niort, on leur clot les portes ; et leur dirent les villains de la ville que point là ils n’entreroient, et qu’ils allassent d’autre part. Or furent les Anglois plus couroucés que devant, et dirent que cette rébellion de ces villains ne faisoit mie à souffrir. Si se appareillèrent et mirent en ordonnance pour assaillir, et assaillirent de grand courage ; et cils de la ville se deffendirent à leur pouvoir. Là eut grand assaut et dur, et qui se tint une longue espace ; mais finablement cils de Niort ne le purent souffrir, car ils n’avoient nul gentil homme dont ils fussent confortés et conseillés ; et si ils pussent s’y être tenus jusques aux vespres ils eussent été secourus et confortés du connétable, en quel instance ils s’étoient clos contre les Anglois. Mais cils dits Anglois les assaillirent si vertueusement et de si grand’voulenté, que de force ils rompirent les murs, et entrèrent ens, et occirent la plus grand’partie des hommes de la ville, et puis la coururent et pillèrent toute sans nul déport ; et se tinrent là tant qu’ils oyrent autres nouvelles.


CHAPITRE CCCLIII.


Comment le captal de Buch fut pris devant Soubise.


Vous avez bien ouï recorder ci dessus comment Yvain de Galles, à l’ordonnance et commandement du roi de France, alla en Espaigne parler au roi Henry pour impétrer une partie de sa navie. Le roi Henry ne l’eût jamais refusé ni escondit au roi de France ; mais fut tout joieux quand il y put envoyer. Si ordonna son maître amiral Dan Radigho de Rous à être patron avec le dessus dit Yvain, de celle armée. Si se partirent du port Saint-Andrieu en Galice quand la navie fut toute prête, à quarante grosses nefs, huit galées et treize barges, toutes fretées et appareillées et chargées de gens d’armes. Si singlèrent tant par mer, sans avoir empêchement ni vent contraire, qu’ils arrivèrent devant la ville de la Rochelle où ils entendoient à venir ; et ancrèrent tout devant, et s’y ordonnèrent et établirent par manière de siége. Cils de la Rochelle, quand ils virent celle grosse flotte des Espaignols venue, furent durement ébahis, car ils n’avoient point appris à être assiégés si puissamment par mer ni de tels gens. Toutes fois, quelque semblant que toute la saison ils eussent montré aux Anglois, ils avoient le courage tout bon François, mais ils s’en dissimuloient ce qu’ils pouvoient ; et se fussent jà très volontiers tournés François, si ils osassent ; mais tant que le château fut en la main des Anglois ils ne pouvoient, si ils ne se mettoient en aventure d’être tous détruits. Quand cils de la Rochelle virent que c’étoit tout acertes que on les avoit assiégés, si y pourvéirent couvertement de conseil et de remède ; car ils traitèrent secrètement devers Yvain de Gales et Dan Radigo de Rous traités amiables, par composition telle que ils vouloient bien être assiégés, mais ils ne devoient rien forfaire l’un sur l’autre. Si se tinrent en cel état un terme.

Le connétable de France, qui se tenoit en la cité de Poitiers atout grant foison de gens d’armes, envoia monseigneur Regnaut, seigneur de Pons, en Poitou devant le châtel de Soubise qui siéd sus la Charente, à l’embouchure de la mer[1] et ordonna le dessus dit ; atout bien trois cents lances dont la plus grand’partie étoient Bretons et Picards ; et y furent Thibaut du Pont et Aliot de Calais envoyés, deux écuyers bretons vaillans homme durement. Si vinrent ces gens d’armes mettre le siége devant le dit châtel de Soubise, et le assiégèrent à l’un des lez et non mie partout. Dedans la forteresse n’avoit que une seule femme veuve sans mari, qui s’appeloit la dame de Soubise ; et pour sa loiauté tenir elle demeuroit Angloise.

Si étoit là asseulée entre ses gens, et ne cuidoit mie le siége avoir si soudainement que elle l’eut. Quand elle vit que ce fut acertes, et que le sire de Pons et les Bretons la environnoient tellement, si envoya devers monseigneur le captal de Buch, qui se tenoit en garnison en la ville de

  1. Soubise est éloignée de plus de deux lieues de la mer.