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LIVRE I. — PARTIE II.

ils eurent tout ce fait, si commencèrent à assaillir de grand’volonté et par bon exploit ; et ceux du fort à eux défendre ; car il leur étoit bien mestier ; et eurent un jour tout entier l’assaut, où ils reçurent moult de peine, et furent en grand’aventure et péril d’être pris ; mais ils étoient là dedans tant de bonnes gens que, en ce cinquième jour, ils n’eurent garde.

Au sixième, le connétable et ses Bretons s’ordonnèrent et se trairent avant pour assaillir plus fort que devant ; et s’en venoient tous pavoisés, portant pics et hoyaux en leurs mains, et vinrent jusques aux murs. Si commencèrent à férir et à frapper, et à traire hors pierres, et à pertuiser le dit murage en plusieurs lieux ; et tant firent que les compagnons qui dedans étoient se commencèrent à ébahir : néanmoins, ils se défendirent si vaillamment que oncques gens firent. Jean Cresuelles et David Hollegrave, qui capitaines étoient, imaginèrent le péril, comment messire Bertran et ses gens les assailloient, et à ce qu’ils montroient, point de là ne partiroient, si les auroient ; et si de force étoient pris, ils seroient tous morts ; et véoient bien que nul confort ne leur apparoit de nul côté. Si entrèrent en traités pour eux rendre, sauves leurs vies et leurs corps.

Le connétable, qui ne vouloit mie fouler ni gréver ses gens, ni ceux du fort trop presser, pourtant que ils étoient droites gens d’armes, entendit à ces traités, et les laissa passer, parmi tant que sauf leurs corps ils se partirent, mais nuls de leurs biens n’emportèrent, fors or et argent ; et les fit conduire jusques à Poitiers. Ainsi eut le connétable le châtel de Montcontour ; si en prit la saisine et le fit réparer ; et se tint illec pour lui et ses gens rafraîchir ; car il ne savoit encore quelle part il se trairoit, ou devant Poitiers, ou ailleurs.


CHAPITRE CCCL.


Comment messire Bertran se partit de Montcontour, pour venir devers le duc de Berry qui se tenoit en Limousin, et comment ils assiégèrent Sainte-Sévère.


Quand ceux de la cité de Poitiers sçurent ces nouvelles, que le connétable et les Bretons avoient repris le châtel de Montcontour, si furent plus ébahis que devant, et envoyèrent tantôt leurs messages devers monseigneur Thomas de Percy, qui étoit leur sénéchal, et qui chevauchoit en la route et compagnie du captal de Buch. Ainçois que messire Thomas en ouït nouvelles, messire Jean d’Évreux, qui se tenoit au châtel de la Rochelle, en fut informé, et lui fut dit comment le connétable de France avoit jà geu devant Poitiers, et avisé le lieu ; et bien pensoient ceux de Poitiers qu’ils auroient le siége, et si n’y étoit point le sénéchal. Le dit messire Jean d’Évreux ne mit ce en non-caloir ; mais pour conforter et conseiller ceux de Poitiers se partit de la Rochelle à cinquante lances, et ordonna et institua à son partement un écuyer, qui s’appeloit Philippot Mansel, à être gardien et capitaine, jusques à son retour, du dit châtel de la Rochelle ; et puis chevaucha vers Poitiers et s’y bouta, dont ceux de la cité lui sçurent grand gré.

Or vinrent ces nouvelles à monseigneur Thomas de Percy qui se tenoit en la route du captal, de par ses bonnes gens de Poitiers qui le prioient qu’il se voulsist traire celle part, car ils supposoient à avoir le siége ; et aussi qu’il voulsist venir fort assez ; car les François étoient durement forts sur les champs. Messire Thomas, ces nouvelles ouïes, les remontra au captal pour savoir ce qu’il en voudroit dire. Le captal eut sur ce avis ; et lui avisé, n’eut mie conseil de dérompre sa chevauchée, mais donna congé au dit monseigneur Thomas de partir à cinquante lances et à traire celle part. Donc se départit et chevaucha tant qu’il vint en la cité de Poitiers, où il fut reçu à grand’joie des hommes de la ville qui moult le désiroient, et trouva là messire Jean d’Évreux ; si se firent grand’fête et grand’reconnoissance.

Tout cel état et celle ordonnance sçut le connétable qui se tenoit encore à Montcontour, et comment ceux de Poitiers étoient rafraîchis de bonnes gens d’armes. À ce donc lui étoient venues nouvelles de monseigneur de Berry qui se tenoit, atout grand’foison de gens d’armes de Berry, d’Auvergne et de Bourgogne, sur les marches de Limousin, et vouloit mettre le siége devant Sainte-Sévère en Limousin ; laquelle ville et garnison étoit à monseigneur Jean d’Évreux. Et la gardoient de par lui monseigneur Guillaume de Percy, Richard Gille et Richard Holme, atout grand’foison de bons compagnons ; et avoient couru tout le temps sur le pays d’Auvergne et de Limousin, et fait moult de dommages et destourbes, pourquoi le duc de Berry se vouloit