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LIVRE I. — PARTIE II.

cident et le seigneur de l’Esparre pour être gouverneurs de tout le pays de Gascogne qui pour eux se tenoit ; et en Poitou, monseigneur Louis de Harecourt et le sire de Parthenay, et en Xaintonge monseigneur Geffroy d’Argenton et monseigneur Guillaume de Montendre ; et laissa tous les sénéchaux et officiers ainsi comme ils étoient pardevant. Là furent ordonnés d’aller en Angleterre avec le dit duc, de par le conseil des Gascons, Xaintongiers et Poitevins, pour parler et remontrer les besognes et l’état d’Aquitaine plus pleinement, messire Guichart d’Angle, le sire de Poiane et messire Aymery de Tarste ; et encore, pour eux attendre, détria et délaia le duc un petit. Quand ils furent tous appareillés et les nefs chargées et ordonnées, ils entrèrent dedans sur le hâvre de Bordeaux, qui est beau et large. Si se partit le dit duc à grand’compagnie de gens d’armes et d’archers ; et avoit bien soixante vaisseaux en sa route, parmi les pourvéances ; et emmena avec lui sa femme et sa sœur ; envis les eût laissées. Si exploitèrent tant les mariniers, par le bon vent qu’ils eurent, qu’ils arrivèrent au hâvre de Hantonne en Angleterre, et là issirent-ils des vaisseaux et entrèrent en la ville. Si se reposèrent et rafraîchirent par deux jours, et puis s’en partirent et chevauchèrent tant qu’ils vinrent à Windesore où le roi se tenoit, qui reçut son fils le duc, les dames et damoiselles, et les chevaliers étrangers en grand’fête ; et par espécial il vit volontiers monseigneur Guichart d’Angle.

En ce temps trépassa ce gentil chevalier messire Gautier de Mauny en la cité de Londres, dont tous les barons d’Angleterre furent moult courroucés, pour la loyauté et bon conseil que en lui avoient toujours vu et trouvé. Si fut enseveli à grand’solemnité en un monastère de Chartreux, qu’il avoit fait édifier au dehors de Londres ; et furent au jour de son obsèque là le roi d’Angleterre et tous ses enfants et les prélats et barons d’Angleterre. Si chéy toute sa terre de delà la mer et deçà au comte Jean de Pennebroch qui avoit à femme madame Anne sa fille[1]. Si envoya le dit comte de Pennebroch relever sa terre en Hainaut, qui échue lui étoit, par deux de ses chevaliers qui en firent leur devoir au duc Aubert, ainsi qu’il appartenoit, et qui tenoit la comté de Hainaut pour le temps en bail.


CHAPITRE CCCXLI.


Comment le roi d’Angleterre ordonna le comte de Pennebroch, gouverneur et souverain de tout le pays de Poitou.


Tout cel hiver se portèrent ainsi les besognes en Angleterre ; et y eut plusieurs conseils et imaginations entre les seigneurs sur l’état du pays, à savoir comment ils se maintiendroient sur l’été qui venoit. Et avoient les Anglois intention de faire deux voyages, l’un en Guyenne et l’autre en France par Calais ; et acquerroient amis de tous lez, ce qu’ils pourroient, tant en Allemagne comme ès marches de l’Empire, où plusieurs chevaliers et écuyers étoient de leur accord. Avec tout ce, ils faisoient le plus grand appareil et de toutes choses nécessaires pour un ost, aussi grand comme on eût vu de grand temps faire. Bien savoit le roi de France aucuns des secrets des Anglois, et sur quel état ils étoient, et quelles choses ils se proposoient à faire. Si se conseilloit et avisoit sur ce ; et faisoit pourvoir ses cités, villes et châteaux moult grossement en Picardie, et tenoit partout en garnisons grand’foison de gens d’armes, par quoi le pays ne fût surpris de nulle male aventure.

Quand l’été fut venu, et le roi d’Angleterre eut tenu sa fête et solemnité de Saint-George au châtel de Windesore, ainsi qu’il avait d’usage chacun an de faire, et que messire Guichart d’Angle y fut entré comme confrère, avec le roi et ses enfans et les barons d’Angleterre, qui se nommoient en confraternité les chevaliers du Bleu-Jaretier[2], le dit roi s’avala à Londres en son palais de Westmoustier ; et là eut grand conseil et parlement de rechef sur les besognes du pays. Et pourtant que le duc de Lancastre devoit celle saison passer en France par les plains de Picardie, et le comte de Cantebruge son frère avec lui, le roi ordonna et institua, à la prière de monseigneur Guichart d’Angle et des Poitevins, le comte de Pennebroch à aller en Poitou, pour visiter le pays et faire guerre aux François de ce côté. Car les Gascons et Poitevins

  1. Jean Hastings, comte de Pembroke, avait épousé en premières noces Marguerite, fille d’Édouard III. Après ce premier mariage, le second avec la fille d’un simple gentilhomme paraîtrait encore aujourd’hui fort singulier.
  2. De la Jarretière-Bleue.