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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

jour des épousailles, grand’fête et grand revel et grand’foison de seigneurs et de dames, pour la fête plus enforcer. Tantôt après les épousailles, le duc amena madame sa femme à Bordeaux, et là eut de rechef grand’fête ; et furent la dite dame et sa sœur moult conjouies et fêtées des dames et damoiselles de Bordeaux ; et leur furent donnés grands dons et beaux présens pour l’amour du dit duc.


CHAPITRE CCCXXXIX.


Comment grands alliances et confédérations furent faites et scellées entre le roi de France et le roi Henry d’Espaigne.


Ces nouvelles vinrent en Castille au roi Henry et aux barons du dit royaume, qui ahers et alliés à lui étoient de foi et de hommage, comment sa nièce avoit épousé le duc de Lancastre, et encore supposoit-on que sa mains-née sœur Isabel épouseroit le comte de Cantebruge, le dit duc retourné en Angleterre. Si fut plus pensif le dit roi Henry que devant, et mit son conseil ensemble. Si fut adonc conseillé qu’il envoyât grands messages devers le roi de France, et qui bien sçussent parler et remontrer son affaire, et qui de ce mariage étoit fout informé. À ce conseil et avis se tint le roi Henry ; et ordonna sages hommes et les plus authentiques de son royaume, pour aller en France. Si se mirent au chemin en grand arroy ; et firent tant par leurs journées qu’ils vinrent en la cité de Paris, où ils trouvèrent le roi, qui les reçut à grand’joie, ainsi que bien le sçut faire.

Entre le roi dessus dit et le conseil du roi Henry qui avoient procurations scellées, bonnes et justes, de faire, traiter et procéder en toutes choses au nom du roi leur seigneur, eut plusieurs parlemens, conseils et traités, secrets et autres, lesquels tournèrent à effet. Finablement en ce temps furent accordées, ordonnées et confirmées alliances et confédérations moult grandes, et jurées solennellement de toutes parties à tenir fermement et non briser, ni aller à l’encontre par aucune voie, que ces deux rois demeureroient en unité de paix, d’amour et d’alliance ; et jura adonc le roi de France ; en parole de roi, qu’il aideroit et conforteroit le roi de Castille en toutes ses besognes, et ne feroit paix ni accord aucunement au roi d’Angleterre que il ne fût mis dedans[1]. À ces traités, accords et alliances faire rendit grand’peine messire Bertran du Guesclin, qui moult aimoit le roi Henry.

Après toutes ces choses faites, confirmées et scellées, se départirent les ambassadeurs du roi et retournèrent en Espaigne, et trouvèrent leur seigneur à Léon en Espaigne, qui fut moult joyeux de leur revenue et de ce qu’ils avoient si bien exploité ; et se tint depuis, parmi ces alliances, le roi Henry plus assuré et conforté que devant.


CHAPITRE CCCXL.


Comment le duc de Lancastre ordonna gouverneurs en Guyenne et en Poitou, et en Xaintonge ; et s’en retourna en Angleterre et emmena sa femme avec lui.


Nous retournerons au duc de Lancastre, qui se tenoit en la bonne cité de Bordeaux ; et eut avis, environ la Saint-Michel, qu’il retourneroit en Angleterre[2] pour mieux informer le roi son père des besognes d’Aquitaine : si se ordonna et appareilla sur ce. Un petit devant ce qu’il dût mouvoir ni partir, il assembla en la cité de Bordeaux tous les barons et chevaliers de Guyenne, qui pour Anglois se tenoient ; et quand ils furent tous venus, il leur remontra qu’il avoit désir et intention de retourner en Angleterre, pour certaines choses et le profit d’eux tous et de la duché d’Aquitaine, et que, à l’été prochain venant, il retourneroit, si le roi son père l’accordoit. Ces paroles plurent bien à tous ceux qui les entendirent. Là institua et ordonna le dit duc monseigneur le captal de Buch, le seigneur de Mu-

  1. Ce nouveau traité ne fut sans doute qu’une confirmation de l’alliance offensive et défensive entre les deux couronnes, qui fut signé par Henry de Transtamare sous les murs de Tolède dont il faisait le siége, le 26 novembre 1369 et qui a été publié par Rymer.
  2. Comme Froissart paraît avoir ignoré l’époque précise du passage du duc de Lancastre en Angleterre, et qu’il le rapporte après avoir raconté des événemens qui paraissent appartenir certainement à l’année 1372, je continuerai de suivre la chronologie des historiens anglais qui placent sous cette année le départ du duc pour l’Angleterre, ainsi que son mariage et la défaite de la flotte flamande. (Voyez Th. Otterbourne, p. 147 et Walsingham, p. 181.) Au reste, leur chronologie peut se concilier jusqu’à un certain point avec celle de Froissart ; car il est possible que le duc de Lancastre ait songé, vers la Saint-Michel 1371, à faire les préparatifs pour son départ, comme le dit cet historien, et qu’il ne soit parti en effet qu’au commencement de l’année suivante, ainsi que le rapportent les historiens anglais.