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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

se portèrent très vaillamment, combien que les François fussent plus grand’foison et pourvus de leur fait : car ils n’avoient désiré toute la saison autre chose que qu’ils pussent avoir trouvé les Anglois : mais pour ce ne l’eurent-ils mie d’avantage. Si dura celle bataille sur mer bien trois heures ; et là eut fait plusieurs grands appertises d’armes, et maint homme navré et blessé du trait. Et avoient leurs nefs attachées à crochets et à chaînes de fer, par quoi ils ne pussent fuir. Et finablement la place demeura aux Anglois, et furent les dits Flamands déconfits, et sire Jean Pietresone, leur patron, pris, et tout le demeurant mort ou pris[1] : oncques nul n’en échappa. Et retournèrent les dits Anglois arrière en Angleterre, et amenèrent leurs conquêts et leurs prisonniers, et ne firent point leur voyage pour lors. Si contèrent ces nouvelles au roi d’Angleterre leur seigneur, qui fut moult joyeux de leur avenue, quand il entendit que les Flamands qui envahis les avoient étoient déconfits. Si furent tantôt envoyés en prison fermée Jean Pietresone et les autres, et épars par Angleterre.


CHAPITRE CCCXXXVI.


Comment le roi d’Angleterre mit grands gens d’armes sur mer pour aller contre les Flamands, et comment paix fut faite entre eux.


Après cette déconfiture qui fut faite sur les Flamands devant le Bay en Bretagne, le roi d’Angleterre mit grands gens sur mer à l’encontre des Flamands, et les commanda guerroyer et clorre les pas, par quoi rien ne leur vînt, fors à grand danger. Quand ceux de Bruges, d’Ypre et de Gand entendirent ces nouvelles, si mirent leur conseil ensemble, et dirent, tout imaginé et considéré, que profitable ne leur étoit mie d’avoir la guerre ni la haine aux Anglois, qui leur étoient voisins et marchissans à eux, pour l’opinion de leur seigneur le comte aider à soutenir, combien qu’il en touchoit aucunement à eux aussi bien que au comte. Si se dissimulèrent les bonnes villes, et envoyèrent de par eux suffisans hommes et bons traiteurs en Angleterre devers le roi et son conseil, lesquels exploitèrent si bien avant leur retour qu’ils apportèrent paix au pays de Flandre et aux Flamands sur certains articles et ordonnances scellées entre l’une partie et l’autre[2]. Si demeura la chose en bon et en sûr état.

Or parlerons un petit du royaume de Mayogres.


CHAPITRE CCCXXXVII.


Comment le roi de Mayogres fut rançonné du roi Henry d’Espaigne, et comment il fit guerre au roi d’Arragon, et comment il mourut.


Vous avez bien ouï ci-dessus recorder comment le roi James de Mayogres fut pris au Val-d’Olif en Castille, au reconquêt que le roi Henry fit en Espaigne, et demeura prisonnier au dit roi Henry. Quand la roine de Naples, sa femme, et la marquise de Monferrat, sa sœur, entendirent ces nouvelles, si furent moult courroucées de l’avenue, et y pourvéirent de remède et de conseil ; je vous dirai par quelle manière. Celles traitèrent et firent traiter par sages et vaillans hommes devers le roi Henry, et tant que le roi de Mayogres fut mis à finance et rançonné à cent mille francs, les quels les deux dames dessus dites payèrent si courtoisement que le roi Henry leur en sçut gré. Tantôt que le roi de Mayogres se put partir, il retourna à Naples, et ne voult mie séjourner ; mais quist or et argent à grands pouvoirs et amis de tous lez, et se remit au chemin de rechef, en intention de guerroyer le roi d’Arragon, son adversaire, qu’il ne pouvoit aimer ; car il lui avoit son père tué et lui tenoit son héritage. Si exploita tant le dit roi qu’il vint en Avignon devers le pape Grégoire XI, et là se tint plus d’un mois ; et fit ses complaintes si bien et si à point au dit saint père, qu’il descendit assez à ses prières, et consentit au dit roi de Mayogres qu’il fît guerre au roi d’Arragon ; car il avoit cause qui le mouvoit à ce : c’étoit pour son héritage. Donc se pourvéy le dit roi de Mayo-

  1. Les Anglais prirent aux Flamands, dans cette rencontre, vingt-cinq vaisseaux chargés de sel, ainsi que le rapportent Thomas Otterbourne et Walshingham, qui placent l’un et l’autre cet échec des Flamands au commencement de l’année 1372. Comme ils ne sont contredits par aucun monument, on peut commencer à compter ici cette année.
  2. Depuis la rupture entre la France et l’Angleterre, les Flamands n’avaient cessé de traiter avec les Anglais pour la sûreté de leur commerce, comme on peut le voir dans Rymer : mais les parties ne furent véritablement en paix qu’au commencement de l’année 1372. Ce ne fut que le 28 mars de cette année qu’Édouard signa les lettres par lesquelles il annonçait à ses sujets qu’il prétendait vivre désormais en paix avec les Flamands et avec leur comte.