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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

traité ; et demandèrent en quelle manière le duc les vouloit prendre ni avoir. Messire Guichard, qui étoit chargé de ce qu’il devoit dire et faire, leur dit : « Seigneurs, vous avez durement courroucé monseigneur : car vous l’avez ci tenu plus de onze semaines, où il a grandement frayé et perdu de ses gens ; pourquoi il ne vous recevra jà ni prendra, si vous ne vous rendez simplement ; et encore veut-il avoir tout premièrement messire Guillaume de Montpaon, et faire mourir, ainsi qu’il a desservi, comme traître envers lui. » Lors répondit messire Louis de Mailly et dit : « Messire Guichart, tant que de monseigneur Guillaume de Montpaon que vous demandez à avoir, nous vous jurons bien en loyauté que nous ne savons où il est, et que point il ne s’est tenu en cette ville, depuis que vous mîtes le siége devant : mais il nous seroit moult dur de nous rendre en la manière que vous nous voulez avoir, qui ci sommes envoyés comme soudoyers gagnans notre argent, ainsi que vous envoieriez les vôtres, ou vous-mêmes iriez personnellement ; et avant que nous fissions tel marché, nous nous vendrions si chèrement que on en parleroit cent ans à venir : mais retournez devets monseigneur le duc, et lui dites qu’il nous prenne courtoisement sur certaine composition de rançon, ainsi qu’il voudroit qu’on fît les siens, si ils étoient enchus en ce danger. » Lors répondit messire Guichard et dit : « Volontiers, j’en ferai mon plein pouvoir. »

À ces paroles retourna le dit maréchal devers le duc et prit en sa compagnie le captal de Buch, le seigneur de Rosem et le seigneur de Mucident, pour mieux abréger le duc[1]. Quand ces seigneurs furent devant lui, si lui remontrèrent tant de belles paroles, unes et autres, qu’il descendit à leur entente et prit les quatre chevaliers bretons dessus dits, et Sevestre Budes et leurs gens à mercy, comme prisonniers. Ainsi eut-il de rechef la saisine et possession de la forteresse de Montpaon, et prit la féauté des hommes de la ville et y ordonna deux chevaliers Gascons pour la garder, à quarante hommes d’armes et autant d’archers ; et la firent ceux tantôt réparer bien et à droit par les maçons de là environ, et la rafraîchirent de vivres et d’artillerie.


CHAPITRE CCCXXX.


Comment le duc donna congé à toutes ses gens et s’en retourna en la cité de Bordeaux.


Après le conquêt de Montpaon, et que le duc de Lancastre l’eut repourvue de bonnes gens d’armes et de capitaines, ils se délogèrent, et donna le dit duc congé à toutes ses gens, pour retraire chacun en son lieu. Si se départirent les uns des autres, et retournèrent en leurs nations ; et s’en revint le duc en la cité de Bordeaux, et les Poitevins en leur pays ; et les seigneurs de Gascogne s’en r’allèrent en leurs villes et châteaux.

Si se commencèrent les Compagnies à étendre sur le pays, lesquels faisoient moult de maux, aussi bien en terre d’amis comme d’ennemis. Si les soutenoit le dit duc et souffroit à faire leurs aises, pour ce qu’il en pensoit avoir à besogner ; et par espécial les guerres étoient pour le temps de lors plus dures et plus fortes sans comparaison en Poitou que autre part ; et se tenoit une grand’garnison au châtel de Montcontour, à quatre lieues de Thouars, et à six de Poitiers, desquels messire Pierre de la Gresille et Jourdain de Couloingne étoient capitaines et souverains. Si couroient presque tous les jours devant Thouars, ou devant Poitiers, et y faisoient grands contraires ; et moult les ressoingnoient ceux du pays. D’autre part à Châteauleraut se tenoient Kerlouet le Breton et bien cinq cents Bretons qui trop dommageoient le pays ; et ceux de la Roche Posoy et ceux de Saint-Savin couroient aussi presque tous les jours ; et n’osoient les barons et les chevaliers de Poitou, qui Anglois se tenoient, chevaucher, fors en grand’route, pour la doute des François qui étoient enclos en leur pays.


CHAPITRE CCCXXXI.


Comment le sire de Pons se tourna François, et comment le sénéchal de Poitou fit son mandement pour aller assiéger Montcontour.


Assez tôt après la revenue de Montpaon, et que ces seigneurs de Poitou furent retraits en leur pays, qui tenoient frontière aux François, il eut secrets traités entre monseigneur Louis de Saint-Julien, le vicomte de Rochechouart et autres François, d’un côté, et le seigneur de Pons ; et tant parlementèrent et tant exploitèrent les

  1. Pour vaincre plus promptement la résistance du duc.