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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

en Navarre, il devoit faire défier le roi d’Angleterre, et pour plus grand’sûreté d’amour tenir et nourrir entre lui et le roi de France, il devoit laisser ses deux fils, Charles et Pierre, de-lez leur oncle, le roi de France. Sur cel état se partirent de Rouen, et vinrent à Paris ; et là eut de rechef grands fêtes et grands solemnités ; et quand ils eurent assez joué et festoyé ensemble, congé fut pris ; et se partit le roi de Navarre moult amiablement du roi de France, et laissa ses deux enfans avec leur oncle ; et puis prit le chemin de Montpellier, et retourna par là en la comté de Foix et puis en son pays de Navarre.

Or retournerons nous aux besognes d’Aquitaine.


CHAPITRE CCCIX.


Comment mesure Bertran du Guesclin arriva d’Espaigne à Toulouse où le duc d’Anjou le reçut à grand’joie.


Vous devez savoir, si comme ci-dessus est dit, comment le duc d’Anjou avoit été en France sur l’état que, lui revenu en Languedoc, il devoit entrer efforcément en Guyenne ; car nullement il ne pouvoit aimer le prince ni les Anglois, ni ne fit oncques. Aussi, ains son département, par la promotion de lui, le roi de France envoya lettres et grands messages en Castille devers le roi Henry, qu’il voulsist envoyer en France messire Bertran du Guesclin, si lui en sauroit bon gré. Et aussi très amiablement le roi et le duc d’Anjou en escripsirent au dit monseigneur Bertran. Si exploitèrent si bien les dits messages qui envoyés y furent, qu’ils trouvèrent en la cité de Léon, en Espaigne, le dit roi Henry et monseigneur Bertran ; si firent leur message bien et à point. Sur le mandement et ordonnance du roi de France, le roi Henry n’eût jamais retenu messire Bertran, et aussi messire Bertran ne se fût jamais excusé. Si s’ordonna au plus tôt qu’il put, et prit congé du roi Henry, et se partit à tous ses gens et exploita tant par ses journées qu’il vint à Toulouse[1] où le duc d’Anjou étoit, qui jà avoit assemblé grand’foison de gens d’armes, chevaliers et écuyers, et n’attendolt autre chose que messire Bertran fût venu : si que, à la venue du dessus dit, le duc d’Anjou et tous les autres François furent grandement réjouis, et ordonnèrent pour partir de Toulouse et entrer en la terre du prince.

En ce temps étoit venu à Hantonne le duc de Lancastre, à quatre cents hommes d’armes et autant d’archers ; et faisoient charger leurs nefs et leurs vaisseaux de toutes leurs pourvéances ; et avoient intention pour singler vers Bordeaux, mais que ils eussent vent. Avec le dit duc étoient en sa charge le sire de Ros, messire Michel de la Poule, messire Robert Rous, messire Jean de Saint-Lô, messire Guillaume de Beauchamp, fils au comte de Warvich, et plusieurs autres chevaliers que je ne puis ni ne sais mie tous nommer. Si lairons un peu à parler du duc de Lancastre et de son armée et parlerons du duc d’Anjou et de la sienne.


CHAPITRE CCCX.


Comment ceux de Moysach, d’Agen, de Montpellier, d’Aiguillon se rendirent au duc d’Anjou, et comment le duc de Berry assiégea la cité de Limoges.


Or se partit le duc d’Anjou de la cité de Toulouse en très grand arroy et bien ordonné. Là étoient le comte d’Armignac, le sire de Labreth, le comte de Pierregord, le comte de Comminges, le vicomte de Carmaing, le comte de Lisle, le vicomte de Brunikiel, le vicomte de Narbonne, le vicomte de Talar, le sire de la Barde, le sire de Pincornet, messire Bertran de Terride, le sénéchal de Toulouse, le sénéchal de Carcassonne, le sénéchal de Beaucaire, et plusieurs autres ; et étoient deux mille lances, chevaliers et écuyers, et six mille brigands à pied, à lances et à pavais. Et de toutes ces gens d’armes étoit connétable et gouverneur messire Bertrand du Guesclin. Et prirent le chemin d’Agénois ; et trouvèrent encore sur les champs plus de mille combattans, gens de compagnies et routes, qui les avoient attendus toute la saison Quersin, et chevauchèrent devers Agen.

La première forteresse où ils vinrent, ce fut devant Moysach. Le pays étoit si effréé de la venue du duc d’Anjou, pour le grand nombre des gens qu’il menoit, qu’ils frémissoient tous devant lui, et n’avoient les villes et les châteaux nulle volonté d’eux tenir. Quand ils furent venus devant Moysach, ils se rendirent tantôt et se retournèrent François. Et puis chevauchèrent ou-

  1. Il paraît que du Guesclin arriva à Toulouse peu de temps après le duc d’Anjou, c’est-à-dire vers le milieu de juillet, et que l’armée entra aussitôt en campagne.