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CHRONIQUES DE J. FROISSART.


CHAPITRE CCCVI.


Comment le duc de Bourbon prit Belle-Perche et la répara et fortifia ; et comment messire Robert Canolle s’en alla en Angleterre.


Vous devez savoir que le duc de Bourbon fut ce jour moult courroucé que les Anglois emmenèrent madame sa mère. Assez tôt après leur département, il se traist avant, et envoya ses gens prendre et saisir comme sien le châtel de Belle-Perche que les Anglois avoient laissé tout vague. Si le fit le dit duc réparer et fortifier plus que devant.

Ainsi se défit et départit cette grande chevauchée : chacun se retrait sur son lieu ; et s’en r’allèrent les François en leurs garnisons ; et le duc de Bourbon retourna en France sans rien profiter en leur voyage ; et si avoient eu leurs ennemis plus de quinze jours devant eux, et si ne les combattirent point combien que ils étoient trois François contre un Anglois ; et le comte de Cantebruge se tint en Angoulême de-lez son frère le prince : et le comte de Pennebroch et ceux de sa charge s’en vint tenir en Mortaigne sur mer, en Poitou. Si s’épardirent ces Compagnies et ces gens d’armes qui étoient retournés de Belle-Perche, en Poitou et en Xaintonge, et vidèrent tout le pays de vivres ; et encore y faisoient-ils moult de vilains faits, ni ils ne s’en savoient ni pouvoient abstenir.

Assez tôt après se départit du prince messire Robert Canolle et retourna en Bretagne, en son châtel de Derviel. Si n’eut pas là été un mois, quand le roi d’Angleterre lui manda qu’il passât la mer et le vint voir en Angleterre. À ce mandement obéit le dit messire Robert, et se ordonna et appareilla sur ce, et entra en mer, et singla tant qu’il vint en Cornouaille. Là prit-il terre à la Roche Saint-Michel, et puis chevaucha tant parmi le pays qu’il vint à Windesore, où il trouva le roi qui le reçut liement, et aussi firent tous les barons d’Angleterre, pourtant qu’ils en pensoient bien avoir besoin, et qu’il étoit un grand capitaine et meneur de gens d’armes.


CHAPITRE CCCVII.


Comment le duc d’Anjou s’en vint de Toulouse à Paris ; et comment le roi Charles envoya le dit duc d’Anjou et le duc de Berry en Aquitaine contre les Anglois.


En ce temps se partit le duc d’Anjou de la ville de Toulouse et chevaucha en grand’arroy parmi le royaume de France ; et exploita tant par ses journées qu’il vint en la bonne ville de Paris[1]. Là trouva-t-il le roi son frère, le duc de Berry et le duc de Bourgogne, ses autres frères, qui le reçurent liement et doucement ; et eurent adonc, les quatre frères, le terme pendant qu’ils se tinrent ensemble, à Paris, plusieurs consaulx et consultations ensemble sur l’état des besognes du royaume, à savoir comment ils guerroieroient et se maintiendroient sur l’été à venir. Et fut adonc ordonné et proposé que on feroit deux grands et grosses armées et chevauchées en Aquitaine, desquelles le duc d’Anjou et sa route gouverneroient l’une, et entreroient en Guyenne par devers la Réole et Bergerac, et le duc de Berry au lez devers Limoges et Quersin ; et se devoient, ces deux armées, trouver devers la ville d’Angoulême, et là dedans assiéger le prince.

Encore fut adonc proposé et avisé par grand’délibération de conseil, que on remanderoit en Castille messire du Guesclin, ce vaillant chevalier, qui si vaillamment et loyaument s’étoit combattu pour la couronne de France ; et qu’il seroit prié qu’il voulsist être connétable de France. Quand le roi de France et ses frères, et leur conseil, eurent tout ordonné et jeté leur propos ainsi qu’ils vouloient qu’il se fît, et ils furent ébattus un grand temps ensemble, et ce vint à l’entrée du mois de mai, le duc d’Anjou prit congé à eux pour retourner tout premièrement en son pays[2], pourtant qu’il avoit à faire le plus lointain chemin. Si fut convoyé des barons et des chevaliers de France, pour ce qu’il en étoit durement bien aimé et recommandé. Si chevaucha le dit duc par ses journées tant, et si bien exploita qu’il vint à Montpellier[3], et là séjourna plus d’un mois, et puis revint à Toulouse. Si se pourvéy tantôt de gens d’armes partout où il les pouvoit avoir ; et jà en avoit-il grand’foison qui se tenoient sur les champs et faisoient frontière aux Anglois, en Rouergue et en Quersin ; car le petit Meschin, Ernaudon de Pans, Perrot de Savoie, le Bourg Camus, Antoine le Nègre, Lamit, Ja-

  1. Le duc d’Anjou dut arriver à Paris vers la fin de mars ou le commencement d’avril de cette année.
  2. Il était encore à Paris le 7 mai : ce jour même il y retint, pour conseiller de son grand conseil, Gauthier, évêque du Mans.
  3. Il était à Montpellier le 2 juillet, et le 11 il arriva à Toulouse.