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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

deux petites journées près d’eux, et qui savoit comment les seigneurs de Poitou et de Gascogne, en celle année, quand ils partirent de la chevauchée de Quersin leur eurent enconvenancé sur leurs fois que si ils prenoient forteresse en France et ils y étoient assiégés, ils seroient confortés. Si escripsirent tantôt lettres, et envoyèrent de nuit un de leurs varlets à la Souterraine, à monseigneur Jean d’Évreux ; lequel messire Jean reconnut bien les enseignes, et répondit, quand il eut lu les lettres, qu’il s’en acquitteroit bien volontiers ; et il même, pour mieux exploiter, iroit en Angoulême devers le prince et les seigneurs qui là étoient, et les induiroit tellement que ceux de Belle-Perche seroient confortés et délivrés de ce péril. Si se partit le dit messire Jean quand il eut recommandé sa garnison à ses compagnons, et chevaucha tant par ses journées qu’il vint en Angoulême. Là trouva-t-il le prince, le comte de Cantebruge, le comte de Pennebroch, messire Jean de Montagu, messire Robert Canolle, messire Thomas de Percy, messire Thomas de Felleton, messire Guichard d’Angle, le captal de Buch et plusieurs autres. Si leur remontra bellement et sagement comment les compagnons étoient étreints et assiégés au châtel de Belle-Perche, du duc de Bourbon, du comte de Saint-Pol et des François. À ces paroles entendirent les chevaliers de Poitou et d’Angleterre volontiers, et répondirent qu’ils seroient confortés, si comme on leur avoit promis. De cette besogne et pour aller celle part furent chargés le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch ; et fit tantôt un mandement le prince à tous ses féaux et sujets que, ses lettres vues, on se traist devers la ville de Limoges. Donc s’avancèrent chevaliers et écuyers, compagnons et gens d’armes, et vinrent là où ils étoient mandés et ordonnés. Si en y eut grand’foison quand ils furent tous ensemble, plus de quinze cents lances et trois mille d’autres gens ; et exploitèrent tant qu’ils vinrent devant Belle-Perche ; et se logèrent et ordonnèrent à l’opposite des François qui se tenoient en leur bastide, aussi belle et aussi forte et environnée d’eau comme une bonne ville seroit. Si se logèrent les Anglois et les Poitevins à ce commencement assez diversement, pour être à l’aise d’eux et de leurs chevaux ; car il faisoit froid et laid ainsi comme en hiver. Si n’avoient mie toutes leurs aises, et si avoit été tout le pays tout robé et pillé des gens d’armes et des compagnons allans et venans : pourquoi ils ne recouvroient de nuls vivres, fors à danger, et ne savoient mie leurs fourriers où fourrer, fors sur eux-mêmes : mais on leur amenoit quand on pouvoit vivres de Poitou et des marches voisines.

Or signifia adonc le dit maréchal de France, messire Louis de Sancerre, l’ordonnance et l’état des Anglois à Paris, au roi et aux chevaliers qui là se tenoient ; et en fit mettre et attacher cédules au palais et ailleurs, en disant

« Entre vous, chevaliers et écuyers qui désirez à trouver les armes et qui les demandez, je vous avise et dis pour vérité, que le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch, et leurs gens, sont venus devant Belle-Perche, en intention et pour lever le siége de nos gens ; que là nous sommes longuement tenus, et que tant avons étreint la dite forteresse qu’il faut qu’elle se rende temprement, ou que nous soyons combattus par force d’armes. Si venez celle part hâtivement ; car là trouverez-vous aucun grand fait d’armes ; et sachez que les Anglois gissent assez diversement, et en sont bien en lieu et en parti pour eux porter grand dommage. »

Je crois bien que à l’ennortation et requête du dit maréchal, aucuns bons chevaliers et écuyers du royaume de France s’avancèrent pour traire celle part ; toutes fois sçais-je bien que le gouverneur de Blois, Allart de Doustenène, atout cinquante lances, y vint ; et aussi firent le comte de Porcien, et messire Hue de Porcien, son frère.


CHAPITRE CCCIV.


Comment le comte de Cantebruge et le comte de, Pennebroch mandèrent au duc de Bourbon qu’il leur voulsist livrer bataille, et quelle chose le dit duc répondit.


Quand le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch et les barons de Poitou et d’Aquitaine, qui là étoit moult étoffément, eurent été devant les François et aussi devant Belle-Perche le terme de quinze jours, ils virent que point n’issoient de leur bastide pour eux venir combattre, si eurent conseil et avis d’envoyer un héraut devers eux pour savoir quelle chose ils vouloient faire. Si en fut Chandos le héraut chargé, induit et informé quelle chose il leur diroit. Tant exploita le dessus dit, qu’il vint devers le duc de