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LIVRE I. — PARTIE II.

chaux, le comte de Warvich et messire Roger de Beauchamp, que chacun se traisît sur les champs. Laquelle chose on fit volontiers ; car ils désiroient trop chevaucher en France. Lors se départirent de Calais toutes manières de gens d’armes et d’archers moult ordonnément ; car chacun savoit quelle chose il devoit faire, et où il étoit ordonné d’aller. Si éloignèrent Calais ce premier jour tant seulement de cinq lieues. À lendemain, ils vinrent devant Saint-Omer, et là eut grand’escarmouche à la porte, mais les Anglois n’y arrêtèrent point plenté. Si passèrent outre et vinrent loger sur les monts de Herfaut[1], et le tiers jour coururent-ils devers la cité de Thérouenne. Là étoit le comte Guy de Saint-Pol atout grand’foison de gens d’armes. Si n’y arrêtèrent point les Anglois et passèrent outre, et prirent le chemin de Hesdin, et se logèrent ce soir sur une petite rivière.

Quand le comte de Saint-Pol sentit que les Anglois s’en alloient vers son pays, il connut bien qu’il n’y alloient mie pour son profit, car trop le haioient : si se partit de nuit et recommanda la cité au seigneur de Sempy et à monseigneur Jean de Roye, et chevaucha tant qu’il vint à la ville de Saint-Pol. À lendemain, à heure de prime, les Anglois furent devant, et là eut grand’escarmouche ; et vint grandement bien à point la venue du comte à ceux de la ville de Saint-Pol, car par lui et par ceux qu’il amena fut la ville gardée. Si vous dis que le duc de Lancastre et toutes ses gens se reposèrent du tout à leur aise, et rafraîchirent en la comté de Saint-Pol, et ardirent et exillièrent tout le plat pays, et y firent moult de dommages, et furent devant le châtel de Pernes[2] où madame du Douaire[3] se tenoit ; et proprement en avisant le fort, le duc de Lancastre tâta les fonds des fossés à un glaive ; mais point n’y assaillirent, combien qu’ils en fissent grand semblant. Si passèrent outre et vinrent devant Lucheu[4], un très bel châtel du dit comte : si ardirent la ville, mais le château n’eut garde ; puis passèrent outre en approchant Saint-Riquier en Ponthieu. Et ne cheminoient les dits Anglois le jour que trois ou quatre lieues : si ardoient et exilloient tout le plat pays où ils conversoient. Si passèrent la rivière de Somme à la Blanche-Tache, au-dessous d’Abbeville, et puis entrèrent au pays de Vimeu, et avoient intention de venir à Harefleu, sur la rivière de Saine, pour ardoir la navie du roi de France. Le comte de Saint-Pol et messire Moreau de Fienne, connétable de France, atout grands gens d’armes, costioient et poursuivoient l’ost des Anglois, par quoi les Anglois ne s’osoient dérouter, fors aller leur droit chemin ou chevaucher en si grand’route que pour combattre les François si ils se fussent, par aucune aventure, traits avant. Et aussi cheminèrent et chevauchèrent tout le pays de Vimeu, et la comté d’Eu, et entrèrent en l’archevêché de Rouen, et passèrent au-dessus de Dieppe, et chevauchèrent, et firent tant par leurs journées qu’ils vinrent devant Harefleu, et là se logèrent. Le comte de Saint-Pol s’étoit avancé et étoit entré dans la ville atout deux cents lances.

Là furent les Anglois devant Harefleu trois jours ; mais rien n’y assaillirent. Au quart jour ils se délogèrent et départirent, et prirent leur retour parmi la terre du seigneur d’Estouteville[5] lequel ils n’aimoient mie plenté, et l’ardirent et exillièrent toute ou en partie ; et puis s’en revinrent parmi le Véguecin et ravalèrent devers Oisemont[6], pour revenir passer la rivière de Somme à la Blanche-Tache. En ce temps étoit en la bonne ville d’Abbeville messire Hue de Châtillon, maître des arbalêtriers de France, capitaine et souverain. Quand il sentit que le duc de Lancastre devoit repasser, il s’arma et fit armer dix ou douze tant seulement de ses compagnons et monter à cheval, et dit qu’il vouloit aller voir la porte de Rouvroy, par quoi il n’y eût point de deffaute, et que les Anglois, qui ne devoient mie passer trop loin de ce lez-là devers eux, ne la trouvassent mie nicement gardée. Encore étoit-il moult matin et faisoit moult grand’bruine : messire Nichole de Louvaing, qui du temps passé avoit été sénéchal de Ponthieu, lequel messire Hue de Châtillon avoit, en celle propre année, pris et

  1. Probablement Helfaut ou Hellefaut, village situé dans la position indiquée par l’historien.
  2. Petite ville d’Artois sur la Clarème.
  3. Froissart veut sans doute désigner par cette expression Jeanne Bacon, dame du Molay, douairière de Jean de Luxembourg, père du comte de Saint-Paul, qu’il avait eu d’Alix de Flandre, dame de Richebourg, sa première femme.
  4. Vraisemblablement Lucheul en Picardie, près de Dourlens.
  5. Il y a deux lieux de ce nom dans le diocèse de Rouen, l’un près de Caudebec, l’autre près de Lyon.
  6. Bourg, de Picardie dans le Vimeu.