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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

comte de Pennebroch qui n’avoit voulu chevaucher avecques lui, ne fut mie à ce premier si enclin que merveilles, et répondit tant seulement : « Ce seroit fort que nous y puissions venir à temps ! » et ouït toute sa messe. Tantôt après messe, les tables furent mises et dressées et la cuisine appareillée. Si demanda-t-on au dit monseigneur Jean Chandos s’il vouloit dîner ; et il dit : « Oil, puis qu’il est prêt. » Tantôt il se trait en la salle, et chevaliers et écuyers saillirent avant, qui apportèrent l’eau. Tout ainsi comme il lavoit pour asseoir à table, veci le second message du comte Jean de Pennebroch qui entre en la salle et incline monseigneur Jean Chandos, et traist tantôt l’annel hors du doigt et lui dit : « Cher sire, monseigneur le comte de Pennebroch se recommande à vous atout ces enseignes, et vous prie chèrement que vous le venez conforter et ôter d’un grand péril et danger où il est au Puirenon. » Messire Jean Chandos prit l’annel et le regarda, et le reconnut ; et vit bien que c’étoient vraies enseignes. Si répondit : « Ce seroit fort de là venir à temps, quand ils étoient en tel parti que vous ci en droit me contez, à votre département. » Et puis dit : « Allons, allons dîner. » Si assirent à table le dit messire Jean Chandos et tous les autres, et mangèrent leurs premiers mets. Ainsi qu’ils étoient jà servis du second mets et l’avoient encommencé, messire Jean Chandos, qui avoit imaginé moult sur ces besognes, leva la tête en regardant sur les compagnons et dit une parole qui fut volontiers ouïe : « Le comte de Pennebroch, qui est un sire de noble et haute affaire, et de grand lignage, et qui est fils de mon naturel seigneur le roi d’Angleterre, car il eut sa fille épousée, et qui est compain en armes et en toutes autres choses à monseigneur de Cantebruge, me prie si bénignement que je dois bien descendre à sa prière et lui secourir et conforter si je puis venir à temps. » Adonc bouta-t-il la table outre et dit : « Aux chevaux ! aux chevaux ! Je vueil chevaucher devers le Puirenon. » Lors vissiez gens avoir grand’joie de ces paroles et eux tantôt appareiller, et trompettes sonner, et gens d’armes parmi Poitiers monter à cheval, chacun qui mieux pouvoit : car ils furent tantôt informés du fait que messire Jean Chandos chevaucheroit devers Puirenon, pour reconforter le comte de Pennebroch et sa route que les François avoient assis. Lors se mirent aux champs chevaliers et écuyers, et gens d’armes, et se trouvèrent tantôt plus de deux cents lances, et toujours leur croissoient gens, et se mirent à chevaucher roidement.


CHAPITRE CCXCI.


Comment messire Louis de Sancerre se partit de Puirenon atout ton gain et ses prisonniers, quand il sçut la venue de messire Jean Chandos et se retraist à la Roche de Pousoy.


Ainsi que messire Jean Chandos et sa route chevauchoient efforcément, certaines nouvelles en vinrent au Puirenon entre les François qui continuellement avoit assailli dès le point du jour jusques à midi, et leur dirent leurs espies qu’ils avoient toujours sur les champs. « Chers seigneurs, avisez-vous ; car messire Jean Chandos est parti de Poitiers à deux cents lances, et s’en vient de celle part à grand exploit et à grand désir qu’il vous puisse trouver. » Quand messire Louis de Sancerre, messire Jean de Vienne, messire Jean de Beuil et les autres qui là étoient entendirent ces nouvelles, ils dirent ainsi là entr’eux, les plus avisés : « Nos gens sont lassés et travaillés d’assaillir et de rioter à ces Anglois huy et hier ; si vaut mieux que tout bellement nous nous mettons au retour, et à sauveté notre gain et nos prisonniers, que ce que nous attendons ci la venue de messire Jean Chandos et sa route, qui sont frais et tous nouveaux ; car plus y pourrions perdre que gagner. » Ce conseil fut tenu et tantôt cru ; car il n’y convenoit point un long séjour : si firent les seigneurs sonner leurs trompettes de retraite. Adonc se retrairent toutes leurs gens, et se recueillirent et mirent au chemin pour revenir devers la Roche de Pousoy. Le comte de Pennebroch et les autres compagnons, qui virent cette retraite, connurent tantôt que les François avoient ouï nouvelles. Si dirent entr’eux : « Pour vérité, Chandos chevauche ; pour ce se sont retraits ces François qui ne l’osent attendre ; or tôt, tôt ! partons de ci, retraions-nous vers Poitiers et nous l’encontrerons. » Donc se montèrent à cheval ceux qui chevaux avoient, et qui point n’en avoit, il alloit tout à pied, et les plusieurs montèrent les deux sur un cheval. Si se départirent du Puirenon et prirent le chemin de Poitiers ; et n’étoient mie arrière de la maison, si vaillamment s’étoient tenus, une lieue, quand ils en-