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LIVRE I. — PARTIE II.

tiers ; là trouveroit-il messire Jean Chandos et ses compagnons ; si leur dit comment il leur étoit, et que encore viendroit-il bien à temps pour eux conforter : car ils se tiendroient bien encore en la dite maison jusqu’à nonne. L’écuyer, qui vit le grand danger où il et tous les seigneurs étoient, dit que il feroit volontiers ce message, et encore se vanta-t-il de trop bien savoir le chemin. Si se départit de l’hôtel dessus dit, environ heure de minuit, quand ceux de l’ost furent apaisés, par une fausse poterne, et se mit au chemin, au plus droit qu’il put et qu’il sçut, pour venir à Poitiers : mais tant y eut que oncques celle nuit il ne put ni ne sçut tenir voie ni chemin, et se fourvoya, et fut grand jour ainçois qu’il pût entrer en la voie de Poitiers. Quand ce vint à l’aube du jour, les François qui avoient ainsi assis les Anglois au Puirenon comme vous oyez, sonnèrent leurs trompettes et s’armèrent ; et dirent et regardèrent entre eux qu’ils assaudroient en la froidure du jour, car ce leur étoit plus profitable que la chaleur du jour.

Le comte de Pennebroch et les chevaliers qui dedans leur enclos étoient, et qui toute la nuit point dormi n’avoient, mais de ce qu’ils avoient pu fortifiés s’étoient, de pierres et de bancs que sur les murs apportés avoient, sentirent bien que les François s’ordonnoient pour eux venir assaillir. Si se confortèrent et avisèrent sur ce. Devant heure de soleil levant, une bonne espace, furent les dits François tous appareillés et ordonnés pour venir assaillir, et leur fut commandé par leurs seigneurs et capitaines de se traire avant. Lors s’en vinrent devant le dit hôtel par connétablies, et entrèrent de rechef en grand’volonté en l’ouvrage de leur assaut ; et trop bien en ce commencement s’en acquittèrent et firent leur devoir. Et avoient apporté échelles ; si les appuyoient contre le mur et montoient sus à l’estrivée, armés et garnis de pavais suffisamment : car autrement ; ils n’eussent point duré ; et tenoient à honneur et à grand vasselage celui qui pouvoit être monté premier ; aussi étoit-ce vraiment. Là n’étoient mie les Anglois oiseux ni recrus d’eux défendre ; car autrement ils eussent été pris : mais se défendoient si vaillamment que merveille seroit à penser, et jetoient pierres sur ces targes et bassinets, parquoi ils les rompoient et effondroient, et en navroient plusieurs et blessoient bien grièvement par celle défense. Ni on ne vit oncques gens eux si vaillamment tenir en si petit fort contre tant de bonnes gens d’armes. Ainsi fut cil assaut continué du matin jusques à prime.


CHAPITRE CCXC.


Comment le comte de Pennebroch envoya encore un sien écuyer par devers messire Jean Chandos ; et comment le dit messire Jean Chandos le vint secourir.


Entre prime et tierce et au plus fort de l’assaut, et que les François regrignoient moult de ce que tant duroient les dits Anglois, tant qu’ils s’avançoient durement sans eux nullement épargner, et avoient mandé ès villages de là environ qu’ils apportassent pics et hoyaux pour effondrer le mur, et c’étoit ce que les dits Anglois doutoient et ressoignoient, le comte de Pennebroch appela de rechef un sien écuyer, et lui dit : « Mon ami, montez sur mon coursier et issez hors par derrière ; on vous fera voie ; si chevauchez à grand exploit devers Poitiers et recordez à monseigneur Jean Chandos l’état et le danger, et le péril où nous sommes, et me recommandez à lui atout ces enseignes. » Lors trait un annel d’or de son doigt, et lui dit : « Donnez-lui de par moi, il reconnoîtra bien ces enseignes qu’elles sont vraies. » Le dit écuyer, qui tint cette affaire à haute honneur, prit l’annel, et monta vitement sur un coursier le plus appert de laiens, et se départit par derrière pendant ce que on assailloit, car on lui fit voie ; et se mit au chemin devers la cité de Poitiers. Et toujours duroit l’assaut grand et fort ; et assailloient François merveilleusement bien ; et se défendoient Anglois de grand courage ; et bien le convenoit ; car autrement, sans défense plus grande que nulle autre ils n’eussent point duré deux heures. Or vous parlerons du premier écuyer. Le dit écuyer, qui étoit parti de Puirenon à heure de mie-nuit, et qui toute la nuit s’étoit fourvoyé sans tenir voie ni sentier, quand ce vint au matin, et il fut grand jour, il reconnut son chemin et se mit à l’adresse par devers Poitiers ; et étoit jà son cheval tout lassé. Toutefois il vint là environ heure de tierce, et descendit en la place devant l’hôtel monseigneur Jean Chandos : si entra tantôt dedans et le trouva qu’il étoit en sa messe. Si vint devant lui et s’agenouilla, et fit son message bien et à point. Messire Jean Chandos, qui avoit encore la mélancolie de l’autre jour en la tête, du