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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

« Notre-Dame ! Sancerre ! au maréchal ! » et puis commencèrent à abattre et à découper gens par les rues et dedans leurs hôtels. Le cri et la noise commença tantôt à élever, et gens à entrer en très grand effroi ; car ils étoient soudainement surpris.

Ces nouvelles vinrent au comte de Pennebroch, à monseigneur Thomas de Percy, à monseigneur Baudouin de Franville et aux autres chevaliers, que c’étoient les François qui les avoient envahis et assaillis. Si furent tantôt ces seigneurs et leur gens appareillés, et se trairent hors de leurs hôtels, et se commencèrent à recueillir ensemble ; mais ils n’y purent tous venir ; car la force des François fut là si grande que les Anglois et Poitevins d’un côté ne les purent souffrir ; et en y eut à celle première empainte, que morts que pris, plus de six vingt ; et n’eut le comte de Pennebroch et aucuns chevaliers, qui là étoient, plus de remède ni d’avis fors que d’eux retraire au plus tôt qu’ils purent, en une plate maison de templiers, séant tout au sec, et tant seulement fermée en pierres. Là se recueillirent, boutèrent et enfermèrent ceux qui y purent venir à temps. Tout le demeurant y furent morts et pris, et la plus grand’partie de leur harnois et de leurs chevaux perdus, et perdit le dit comte de Pennebroch toute sa vaisselle.

Les François, qui les poursuivoient de près, entendirent que ils étoient là recueillis et enclos ; si en furent tous joyeux, et dirent entre eux : « Ils ne nous peuvent échapper ; tous seront nôtres. Nous leur ferons chèrement comparer les dommages qu’ils ont faits en Anjou et en Touraine. » Donc se trairent devers celle maison moult ordonnément et trop bien appareillés, et en grand’volonté pour assaillir. Quand ils furent là venus, il étoit heure de remontée : si regardèrent le dit châtel devant et derrière, et considérèrent assez que il étoit bien prenable. Si le commencèrent à assaillir durement et aigrement, et eut là faite mainte belle appertise d’armes ; car les François étoient grand’foison et bonnes gens ; si assailloient en plusieurs lieux, et donnoient le comte de Pennebroch et ses gens moult à faire aux François ; et les Anglois, qui n’étoient pas grand’foison, se penoient moult de bien faire la besogne et d’eux défendre ; car il leur touchoit. Si y eut ce jour aucunes échelles dressées et compagnons aventureux montans amont, les pavais sur leurs têtes, pour eux contregarder des pierres et du trait ; et quand ils venoient tout amont, ils n’avoient rien fait ; car ils trouvoient bien à qui parler, gens d’armes, chevaliers et écuyers tenans lances et épées en leurs mains, qui les combattoient vaillamment main à main, et qui les faisoient descendre plus tôt qu’ils n’étoient montés. Avec tout ce, il y avoit archers d’Angleterre entrelardés entre ces gens d’armes, à deux pieds tous droits sur le mur, et traioient assez ouniement ; lequel trait les François qui étoient dessous et assaillans ressoingnoient moult. En cet effroi, assaut et riote ils furent jusqu’à la nuit, que les François, qui étoient tous lassés et travaillés d’assaillir et de combattre, se retrairent et sonnèrent leurs trompettes de retrait, et dirent qu’ils en avoient assez fait pour ce jour, jusques au matin que de rechef on les viendroit assaillir. Tout considéré, entre eux disoient les François : « Ils ne nous peuvent échapper ni éloigner qu’ils ne soient nôtres ; car nous les tenons pour enclos et affamés. » Si s’en vinrent en leurs logis lies et joyeux, et se aisèrent de ce qu’ils avoient, et firent grand guet par devant la dite maison de Puirenon, pour être mieux assurés de leur affaire, et que ces Anglois ne vuidassent et s’en allassent par nuit.


CHAPITRE CCLXXXIX.


Comment le comte de Pennebroch envoya un sien écuyer, environ minuit, à Poitiers, pour avoir secours de messire Jean Chandos.


Vous devez bien croire et savoir de vérité que les seigneurs, premièrement le comte de Pennebroch et les chevaliers qui là étoient assis et enclos de leurs ennemis dedans l’hôtel de Puirenon, n’étoient mie à leur aise, car ils sentoient leur forteresse, qui n’étoit pas trop forte pour durer à la longue encontre de tant de bonnes gens d’arme ; est si étoient mal pourvus d’artillerie, qui leur étoit un grand grief, et aussi de vivres ; mais de ce ne faisoient nul compte ; car au fort ils jeûneroient bien un jour et une nuit pour eux garder si mestier étoit. Quand ce vint en la nuit qu’il faisoit brun et épais, ils prièrent à un écuyer, appert homme d’armes, en qui ils avoient grand’fiance, et lui dirent qu’il se voulsist partir, et on lui feroit voie par derrière, et chevauchât appertement, et il seroit au jour à Poi-