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LIVRE I. — PARTIE II.

que le maréchal de France messire Louis de Sancerre et gens d’armes, étoient en la Haie en Touraine. Si eut très grand’volonté d’aller celle part, et signifia son intention moult hâtivement au comte de Pennebroch, en lui priant qu’il voulsist être et aller avec lui devant la Haie de Touraine, et qu’il le trouveroit à Châteauleraut. Si fut Chandos le héraut noncierre et porteur de ce message, et trouva ledit comte de Pennebroch à Mortagne sur mer, qui là faisoit son amas et son assemblée de gens d’armes, et vouloit faire, ainsi qu’il apparoit, une chevauchée. Si s’excusa encore le dit comte par l’information de ses gens et de son conseil, et dit qu’il n’y pouvoit être.

Au retour que le héraut fit, il trouva son maître et ses gens à Châteauleraut. Si lui dit réponse de son message. Quand messire Jean Chandos entendit ce, si fut tout mélencolieux, et connut tantôt que par orgueil et présomption le comte laissoit ce voyage à faire : si répondit à ces paroles et dit : « Dieu y ait part. » Et donna là à la plus grande partie de ses gens congé et les départit, et il même retourna en la cité de Poitiers.


CHAPITRE CCLXXXVIII.


Comment messire Louis de Sancerre surprit le comte de Pennebroch et ses gens et en occit grand’quantité ; et comment le dit comte fut assiégé en une forte maison.


Or vous conterons du comte Jean de Pennebroch quelle chose il fit. Si très tôt comme il put savoir que messire Jean Chandos fut retrait à Poitiers, et qu’il eut donné à ses gens congé, il mit sa chevauchée sus, où bien avoit trois cents lances Anglois et Poitevins, et se partit de Mortagne ; et encore y eut aucuns chevaliers et écuyers de Poitou et de Xaintonge, qui avoient été avecques Chandos, qui se remirent en sa route. Si chevauchèrent ces gens d’armes, des quels le comte de Pennebroeh étoit chef et souverain, et passèrent parmi Poitou, et prirent à l’adresse ce propre chemin que messire Jean Chandos et ses gens avoient fait ; et entrèrent en Anjou, et parardirent et exillèrent du plat pays grand’foison, que les premiers en avoient laissé, qui s’étoit rançonné, et se reposèrent et refreschirent en ce pays de Loudunois ; et puis reprirent leur adresse et s’en vinrent en la terre du vicomte de Rochechouart, où ils firent grand dommage.

Les François qui se tenoient ès garnisons françoises sur les marches de Poitou, de Touraine et d’Anjou, où moult avoit grand’foison de bonnes gens d’armes, entendirent et sçurent la vérité de ces deux chevauchées, comment par orgueil le comte de Pennebroch, qui étoit un jeune homme, n’avoit voulu venir en la compagnie de messire Jean Chandos : si se avisèrent qu’ils le mettroient jus s’ils pouvoient, et seroit ce trop plus aisément que le dessus dit messire Jean Chandos. Si firent un mandement secrètement de toutes les garnisons de là environ ; et se fit chef messire Louis de Sancerre, maréchal de France. Si s’avalèrent ces gens d’armes de nuit tout secrètement en la Roche de Posoy en Poitou[1] qui étoit françoise. Là étoit messire Robert de Sancerre, cousin au dit maréchal, messire Jean de Vienne, messire Jean de Bueil, messire Guillaume des Bordes, messire Louis de Saint-Julien, et Kerauloet le Breton ; et étoient bien sept cents combattans.

Le comte de Pennebroch avoit pris son retour et étoit rentré en Poitou et parars toute la terre du vicomte de Rochechouart. En sa compagnie étoient messire Baudouin de Franville, sénéchal de Saintonge, messire Thomas de Percy, messire Thomas le Despensier, messire d’Angouses, messire Jean Orsuich, messire Jean Harpedaine, messire Jacques de Surgères, messire Jean Courson, messin Thomas de Saint-Aubin, messire Robert Tinfort, messire Simon Housagre, messire Jean de Mortaing, messire Jean Couchet et plusieurs autres. Si chevauchèrent ces Anglois et Poitevins sans nul esmay ; et n’avoient encore ouï nouvelles de nuls gens d’armes, et s’en étoient rentrés atout grand pillage et grand avoir en Poitou. Si vinrent un jour, de haute nonne, loger en un village que on appelle Puirenon, ainsi comme ceux qui cuidoient être tous assurés. Et si comme leurs varlets entendoient à establer leurs chevaux, et appareiller à souper, lors vinrent ces François, qui savoient bien leur convine, tous avisés de ce qu’ils devoient faire ; et entrèrent en ce village de Puirenon, les lances abaissées, en écriant leurs cris :

  1. La Roche-Posay est en Touraine, sur la frontière du Poitou.