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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

rières, et firent tant que, sur assurances et sauf-conduit, ils parlèrent à lui ; et le menèrent tant par traités, car il n’étoit mie bien subtil combien qu’il fût assez bon chevalier, qu’il entra en traité de rendre la forteresse si elle n’étoit secourue et le siége levé dans le terme d’un mois, parmi ce qu’il devoit avoir six mille francs pour les pourvéances du châtel. Ce traité fut entamé et mis outre ; et demeurèrent ceux du châtel et le châtel aussi en sûr état, le dit terme, parmi la composition dessus dite ; et si dedans le mois ils n’étoient secourus, le château devoit être rendu. Cette chose accordée, le chevalier le signifia au roi de France, au duc d’Anjou et au duc de Berry et à tous les seigneurs dont il pensoit être secouru, afin qu’il se pût mieux excuser de blâme si il en étoit reproché. Nonobstant ce et toutes les significations, combien que le châtel fût bel et bon, et moult nécessaire à être François pour le pays d’Anjou et de Touraine, oncques il ne fut secouru ni conforté, de nullui. Si que, tantôt que le mois fut passé et expiré, les seigneurs anglois requirent au dit chevalier qu’il leur tenist convenant, et de ceil avoit livré bons pléges. Le dit messire Jean ne voulut mie aller à l’encontre, et dit ainsi à ses compagnons, puisque le roi de France et le duc d’Anjou vouloient perdre la forteresse, il ne la pouvoit mie tout seul garder et amender. Si la rendit aux Anglois qui là étoient, lesquels tantôt en prirent la saisine et possession, et en eurent grand’joie. Et eut aussi ce que convenancé lui étoit le dit messire Jean, six mille francs tous appareillés, pour les pourvéances du dit châtel, qui bien le valoient ; et fût convoyé lui et tous les siens en la ville d’Angers. Si très tôt que là il fut venu, il fut là pris et arrêté du gouverneur d’Angers et mis au châtel en prison. Si entendis ainsi, que de nuit il fût bouté en un sac et jeté en la rivière qui là court, et noyé par l’ordonnance et commandement du duc d’Anjou, pour ce qu’il avoit pris or et argent pour la forteresse, qui étoit bien taillée de se tenir un an si mestier eût été.

Ainsi eurent les Anglois le châtel de la Roche sur Yon en Anjou, et y mirent grands garnisons de par eux, et le réparèrent bien et faiticement, et puis s’en retournèrent en Angoulême devers le prince.


CHAPITRE CCLXXXV.


Comment messire James d’Audelée, sénéchal de Poitou, trépassa de ce siècle ; et comment messire Jean Chandos en fut fait sénéchal.


Après le conquêt de la Roche sur Yon, si comme ci-dessus est dit, dont les François furent moult courroucés, les seigneurs s’en retournèrent en Angoulême, et là leur donna congé le prince à aucuns de retourner en leurs maisons. Si s’en alla messire James d’Audelée, cil vaillant chevalier et sénéchal pour le temps de Poitou, séjourner et demeurer à Fontenay le Comte. Là accoucha le dit chevalier, de maladie, qui moult le gréva, et tant qu’il en mourut : de quoi le prince et madame la princesse furent moult courroucés ; et aussi furent tous les barons et chevaliers de Poitou ; car il fut sage chevalier et vaillant homme d’armes durement ; et fut celui qui fut le premier assaillant à la bataille de Poitiers, là où le roi Jean fut pris et déconfit ; et fut tenu pour le plus preux et vaillant homme d’armes pour la journée, de la partie des Anglois. Si lui fit-on son obsèque moult révéremment en la cité de Poitiers, et y fut le prince personnellement.

Assez tôt après, par la prière et requête de tous les barons et chevaliers de Poitou, messire Jean Chandos, qui étoit sénéchal d’Aquitaine, fut sénéchal de Poitou, et s’en vint séjourner et demeurer en la cité de Poitiers. Si faisoit souvent des issues et des chevauchées sur les François, et les tenoit si court qu’ils n’osoient chevaucher, fors en grand’route.

En ce temps fut délivré de prison le vicomte de Rochechouart, que le prince avoit fait tenir pour ce qu’il le soupçonnoit François : si que, à la prière et requête de ses amis de Poitou qui étoient pour lors de-lez le prince, le dit prince le délivra et lui rendit toute sa terre. Quand le dit vicomte fut délivré de prison, il s’en vint couvertement au plus tôt qu’il put à Paris pardevers le roi ; et se tourna François et revint arrière en sa terre, sans ce que on sçût encore rien de son affaire, et mit Thibaut du Pont, Breton, un moult bon homme d’armes, en sa forteresse : et envoya tantôt défier le prince, et lui fit grand’guerre.

Or parlerons un petit du duc de Lancastre.