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LIVRE I. — PARTIE II.

astreinte. Sitôt qu’ils virent le héraut revenu, si lui firent grand’chère et lui demandèrent des nouvelles. Il leur dit que monseigneur le prince les saluoit tous et les désiroit moult à voir ; et à ces mots il leur bailla les lettres que le prince leur envoyoit. Si les prirent les barons et les lurent. Si trouvèrent, avec saluts et amitiés, qu’il ordonnoit et vouloit que messire Jean Chandos, messire Thomas de Felleton, monseigneur le captal de Buch, retournassent en Angoulême devers lui, et messire Robert Canolle et ses gens, et toutes les Compagnies, demeurassent en l’état où ils étoient et fissent guerre. Quand ces quatre seigneurs, qui là étoient chefs de toutes ces gens d’armes, entendirent ces nouvelles, si regardèrent tous l’un l’autre, et puis demandèrent quelle chose en étoit bonne à faire. Si se adressèrent d’une voix devers messire Robert Canolle et lui dirent : « Messire Robert Canolle, vous véez et entendez comment monseigneur le prince nous remande, et veut et ordonne que vous demeuriez sur ce pays et soyez chef et gouverneur de toutes ces gens d’armes. » — « Seigneurs, répondit messire Robert, monseigneur le prince me fait plus d’honneur que je ne vaudrai jamais ; mais sachez que jà sans vous je n’y demeurerai, et si vous partez je partirai. » Depuis, il ne se vouit autrement laisser informer ni conseiller, mais dit toujours qu’il partiroit. Si eurent conseil de retourner tous quatre devers le prince savoir plus pleinement son entente.

Ainsi se dérompit cette grande chevauchée ; et quand ce vint au département, ils envoyèrent messire Perducas de Labreth en la ville de Rochemadour, et toutes ses gens, pour là faire frontière contre les François ; et dirent ainsi les seigneurs aux autres compagnies et à leurs capitaines : « Seigneurs, vous oyez comment monseigneur le prince nous remande ; si nous faut obéir ; et ne savons de vérité qu’il nous veut. Si vous dirons que vous ferez : vous recueillerez vos gens et vous remettrez ensemble, et monterez amont sur les marches de Limousin et d’Auvergne, et ferez la guerre ; car sans guerre ne pouvez vous vivre ni ne savez ; et nous vous jurons et promettons loyaument, que si vous prenez ou conquérez ville, châtel ou forteresse en France, en quelque lieu que ce soit ni en quelque marche, et vous y êtes assiégés, nous vous irons conforter tellement que nous lèverons le siége, » Ceux qui ces paroles et promesses ouïrent dirent : « C’est bien dit, et nous le recevons ainsi ; car espoir en aurons-nous mestier. » Ainsi se départirent les uns des autres, et se dérompit cette grosse chevauchée, les compagnies d’un lez et les seigneurs d’autre, qui s’en revinrent tout par accord devers le prince en la ville d’Angoulême, qui leur fit grand’chère. Or étoient revenus aussi de la comté de Pierregord, un petit en devant, le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch, messire Jean de Montagu et tous les autres.

Or vous parlerons des compagnies et gens d’armes qui partis étoient de monseigneur Jean Chandos, comment ils persévérèrent.


CHAPITRE CCLXXXII.


Comment les Compagnies anglesches prirent le châtel de Belleperche en Bourbonnois et la mère du duc de Bourbon qui étoit dedans, et aussi le châtel de Sainte-Sévère.


Entre les compagnons avoit là trois écuyers de la terre du prince, grands capitaines des compagnies et hardis et apperts hommes d’armes durement, grands aviseurs et écheleurs de forteresses. Si appeloit-on l’un Ortinge, l’autre Bernard de Wiske et le tiers Bernard de la Sale. Ces trois compagnons ne voulurent mie séjourner qu’ils ne fissent parler d’eux et aucun exploit d’armes. Si s’en vinrent avec leurs routes eux refreschir en Limousin.

En ce temps en étoit sénéchal et gouverneur, de par le prince, messire Jean d’Évreux. Ces trois dessus dits jetèrent leurs avis à prendre en France aucunes forteresses ; et regardèrent que Belleperche en Bourbonnois étoit un beau châtel et fort ; et y demeuroit la mère du duc de Bourbon et de la roine de France. Si entendirent par leurs espies que la bonne dame étoit là seule entre ses gens, et n’avoit audit château point trop grand’garde ; encore le châtelain du lieu alloit et venoit souvent hors, et n’en étoit point trop soigneux de le garder. Ces compagnons et une partie des leurs, ceux qu’ils vouldrent élire, ne sommeillèrent point trop sur leur entente, mais chevauchèrent un jour et une nuit et vinrent sur l’ajourner à Belleperche, et l’échellèrent et prirent, et madame la mère de la roine de France qui étoit dedans, et fut leur ce qu’ils trouvèrent dedans. Si regardèrent que la forteresse étoit belle et bonne et en gras pays, et dirent qu’ils