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LIVRE I. — PARTIE II.

dite ville de Rochemadour, si firent traire avant leurs gens et leur artillerie, et là commencèrent à assaillir de grand’façon et bonne ordonnance. Là eut, je vous dis, moult grand assaut et dur, et plusieurs hommes navrés et blessés du trait dedans et dehors.

Si dura cel assaut un jour tout entier. Quand ce vint au vêpre, les Anglois se retrairent à leurs logis et en avoient bien intention de l’assaillir à lendemain. Mais celle nuit ceux de Rochemadour se conseillèrent, qui avoient ce jour senti la force et la vertu de ceux de l’ost, et comment ils les avoient fort assaillis et pressés. Si ouïrent bien les plus sages et mieux avisés que à la longue ils ne se pouvoient tenir, et s’ils étoient pris par force, ils seroient tous morts et perdus, et leur ville arse sans merci. Si que, tout considéré, le bien contre le mal, quand ce vint au matin, ils traitèrent aux Anglois pour eux rendre ; et se porta traité si bien qu’ils churent en accord devers les dessus dits chevaliers d’Angleterre, parmi ce que, de ce jour en avant ils seroient bons Anglois, et le jurèrent solemnellement. Avec tout ce, ils durent à leurs frais mener et conduire, le terme de quinze jours, cinquante sommiers de vivres après l’ost, pour eux avitailler des pourvéances de la ville ; mais on les paieroit courtoisement, parmi un certain fuer qui y fut ordonné. Et ainsi demeura Rochemadour en paix. Et puis chevauchèrent les Anglois outre pardevers Villefranche en Toulousain, gâtant et exillant tout le plat pays et mettant les povres gens en grand’misère, et conquérant villes et châteaux qui s’étoient tournés François. Si se retournoient Anglois, les uns par traités, et les autres par force ; si vinrent les dessus dits seigneurs et leurs gens devant Villefranche, qui étoit assez bien fermée et pourvue de vivres et d’artillerie, car tout le plat pays de là environ se y étoit retrait.

Quand ils furent là venus, ils l’assiégèrent et assaillirent de grand’volonté, et y eut, en quatre jours qu’ils furent pardevant, maint grand assaut et fort, et plusieurs navrés de ceux de dedans et de dehors. Tout considéré, ils regardèrent que longuement ils ne pouvoient tenir, et qu’ils ne seroient aidés ni confortés de nul côté ; au moins ne leur étoit-il point apparent. Si se tournèrent et rendirent Anglois, par composition telle, que on ne leur devoit point porter de dommage. Ainsi devint Villefranche sur les marches de Toulousain, Anglesche. De quoi le duc d’Anjou qui se tenoit à Toulouse fut moult courroucé et dolent, quand il en sçut les nouvelles ; mais amender ne le put quant à celle fois. Si mit et laissa messire Jean Chandos dedans à gouverneur, et à capitaine un chevalier anglois qui s’appeloit messire Robert Rouse, et puis passèrent outre en exillant tout le pays.

Or retournerons au siége de Bourdille, en Pierregord, et conterons comment le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch en persévérèrent.


CHAPITRE CCLXXX.


Comment le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch prirent la garnison de Bourdille par grand avis.


Pendant que les dessus nommés barons et chevaliers d’Angleterre et leurs routes, faisoient leurs chevauchées et leurs conquêts, tant en Rouergue, en Quersin, que en Agénois, où ils furent une moult longue saison, se tenoit le siége devant la garnison de Bourdille, qui y fut plus de neuf semaines. Et vous dis que, ce siége-là tenant, il y eut plusieurs assauts, escarmouches et paletis, et plusieurs grands appertises d’armes presque tous les jours ; car ceux de dedans venoient par usage tous les jours, à main armée, jusques à leurs barrières hors de la porte, et là escarmouchoient moult vaillamment et hardiment, et si bien se portoient que proprement de l’ost ils avoient grand’louange. Ainsi se tinrent en cel état un grand temps et fussent tenus encore trop plus, si orgueil et présomption ne les eussent tentés ; car ils étoient gens assez, et tous hardis compagnons pour tenir et défendre leur forteresse, et bien pourvus de vivres et d’artillerie, et ceux de i’ost se commençoient à tanner, combien qu’ils gesissent là moult honorablement ; mais ils regardoient qu’ils y étoient à grands frais et que trop peu y conquéroient. Or avint un jour qu’ils eurent conseil et avis comment ils se maintiendroient pour leur affaire approcher. Si ordonnèrent que à lendemain, à heure de prime, ils feroient toutes leurs gens armer et eux tenir secrètement en leurs logis, et envoyeroient aucune d’eux escarmoucher à ceux de la forteresse ; car ils les sentoient de si grand’volonté que tantôt ils istroient hors et