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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

devers Angoulème, et tant exploitèrent par leurs journées qu’ils y arrivèrent.

De la venue messire Robert Canolle fut le prince grandement réjoui, et ne le put par semblant trop conjouir ni fêtoyer, et aussi madame la princesse. Tantôt le prince le fit maître et souverain de tous les chevaliers de son hôtel, pour cause d’amour, et de vaillance et d’honneur, et leur commanda à obéir à lui comme à leur souverain ; et ils dirent que si feroient-ils volontiers.

Quand le dit messire Robert eut été de-lez le prince environ cinq jours, et ceux furent appareillés qui devoient aller en sa chevauchée, et aussi qu’il sçut quelle part il se trairoit, il prit congé au prince, et se partit d’Angoulême bien accompagné, les chevaliers du prince avec lui ; tels que monseigneur Richard de Pontchardon, monseigneur Étienne de Counsenton, messire d’Angouses, monseigneur Néel Lorinch, messire Guillaume Toursiel, monseigneur Hugues de Hastingues, monseigneur Jean de Trivet, messire Thomas le Despenser, monseigneur Richard Tanton, messire Thomas Banastre, messire Nicolas Bond, messire Guillaume le Moine, sénéchal d’Agénois, monseigneur Baudouin de Frainville et plus de soixante chevaliers. Si étoient environ cinq cents hommes d’armes et cinq cents archers et autant de brigands, et tous en volonté de trouver les François et de combattre. Si chevauchèrent les gens du prince, dont messire Robert étoit chef et gouverneur, par devant Agen, pour venir en Quersin, où les compagnies se tenoient ; et tant exploitèrent qu’ils vinrent en la cité d’Agen ; et se tinrent là un petit pour eux rafraîchir et attendre leurs ennemis. Pendant ce que ledit messire Robert Canolle séjournoit à Agen, et ses gens là environ, il entendit que messire Perducas de Labreth, un grand capitaine des Compagnies, et qui en avoit plus de trois cents de sa route dessous lui, étoit sur le pays en cette saison, par le pourchas du duc d’Anjou, tourné François. Si envoya tantôt le dit messire Robert Canolle devers lui hérauts et certains messages, et fit tant que, sur sauf-conduit, il vint parler à lui sur les champs, en un certain lieu qu’ils ordonnèrent. Quand le dit messire Robert vit le dit messire Perducas, il lui fit grand’chère et liée, et puis, petit à petit, entra en paroles. Si lui commença à remontrer comment il avoit grandement fait son blâme quand il étoit tourné François et issu hors du service du prince qui tant l’avoit aimé, honoré et avancé. Que vous ferois-je long conte ? Messire Robert Canolle, comme sage et subtil, prêcha tant au dit messire Perducas de Labreth qu’il le retourna Anglois, et toutes ses gens ; et se retournèrent adonc des compagnons gascons plus de cinq cents, dont le duc d’Anjou fut moult courroucé ; et tint moins de compte et de sûreté au dit messire Perducas ; et aussi firent tous les autres qui étoient de la partie des François, et en ressoingnièrent trop plus les Anglois.


CHAPITRE CCLXXVII.


Comment messire Robert Canolle assiégea les compagnies en la garnison de Durviel ; et comment messire Jean Chandos prit la forteresse de Montsac.


Les nouvelles vinrent en la cité de Caours aux autres compagnons, à Aimemon d’Ortinge, à Petit-Meschin, à Jacquet de Bray, à Perrot de Savoie et à Ernaudon de Pans, qui tenoient là une très grand’garnison et avoient tenu tout le temps, que messire Perducas de Labreth étoit retourné Anglois et toute sa route aussi. Si en eurent les dessus dits capitaines grand ennui au cœur et effroi ; et regardèrent et considérèrent entre eux que la cité de Caours étoit de trop grand’garde et trop foible pour eux tenir contre les Anglois. Si s’en partirent de là et la recommandèrent à l’évêque du dit lieu et aux bourgeois de la ville ; et s’en vinrent en une prioré assez près de là, que ils avoient tout le temps malement fortifiée, laquelle on appelle Durviel[1]. Cette forteresse n’étoit point de grand’garde ; et se boutèrent tous dedans, et mirent en bonne ordonnance pour attendre leurs ennemis, lesquels vinrent celle part tantôt et sans délai qu’ils sçurent qu’ils s’étoient là retraits ; et assiégèrent et environnèrent la dite forteresse, et puis y établirent et firent maint assaut. Mais ils étoient si avisés et si drus d’armes et aussi bien pourvus d’artillerie qu’ils n’en faisoient compte.

Quand messire Jean Chandos, messire Thomas de Felleton, le captal de Buch, messire Jean de Pommiers, messire Thomas de Percy, messire Eustache d’Aubrecicourt et les chevaliers

  1. Probablement Duravel, petite ville sur le Lot, aux confins de l’Agénois.