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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

rafraîchir et être mieux à leur aise, et s’en vinrent les compagnies en la cité de Caours et là environ. Si en furent capitaines Aymemon d’Ortinge, Perrot de Savoie, le petit Meschin, Jaquet de Bray et Ernaudon de Pans, et détruisoient tout le pays. Si retournèrent le comte de Pierregord, le comte de Lisle, le comte de Comminges, le vicomte de Carmaing, et les autres Gascons en leurs terres ; car messire Hue de Cavrelée, messire Robert Briquet, Jean Gresuelle, Lamit, Naudon de Bagerant, le Bourg Camus, le Bourg de Breteuil, le Bourg de l’Esparre et toutes ces gens de Compagnies, y faisoient grand’guerre, et avoient mort, ars et détruit la terre du comte d’Armignac et celle du sire de Labreth.

En ce temps étoit un sénéchal en Rouergue très vaillant homme et bon chevalier durement, Anglois, qui s’appeloit messire Thomas de Witevale[1] qui tenoit la ville et le châtel de la Milau, à une journée de Montpellier. Combien que le pays autour de lui fût tourné et conquis François, si tint-il la dite garnison plus d’an et demi, et une forteresse en Rouergue, que on appelle Wauclère ; et fit en ce temps plusieurs belles chevauchées et issues honorables sur les François, et de bons conquêts, et jut là très honorablement jusques à ce que monseigneur Bertran du Guesclin le bouta hors, ainsi que vous l’orrez recorder avant en l’histoire. Et toujours se tenoit le siége devant Bourdille.


CHAPITRE CCLXXV.


Comment le sénéchal de Poitou ardit et exilla la terre du seigneur de Chauvigny, et prit par force d’assaut sa maître ville de Briouse.


Sur les marches de Poitou se tenoient messire Jean de Breuil, messire Guillaume des Bordes, monseigneur Louis de Saint-Julien, Kerauloet le Breton, à plus de douze cents combattans, qui étudioient et imaginoient nuit et jour comment ils pourroient prendre, écheler et embler villes, châteaux et forteresses en Poitou. Donc il avint qu’ils emblèrent et prirent par échellement, de nuit, le châtel que on dit la Roche de Posoy, à l’entrée du Poitou, séant sur la rivière de Creuse, à deux lieues de la Haie en Touraine, et assez près de Châteaulerault sur cette même rivière[2]. Si en fut durement tout le pays de Poitou effrayé ; car les François en firent une grand’garnison, et la réparèrent, pourvurent et rafraîchirent d’artillerie bien et grossement. Quand ces nouvelles vinrent au prince, si en fut durement courroucé, mais amender ne le put. Si manda tantôt monseigneur Guichart d’Angle, monseigneur Louis de Harecourt, le seigneur de Parthenay, le seigneur de Poiane, et plusieurs autres qui se tenoient à Montalban de-lez monseigneur Jean Chandos, qu’ils revinssent appertement et qu’il les vouloit envoyer ailleurs. Ces dessus dits seigneurs de Poitou, à l’ordonnance du prince, se partirent de Montalban, et exploitèrent tant par leurs journées qu’ils vinrent en la ville d’Angoulême devers le prince, qui tantôt les envoya à Poitiers pour garder la cité et faire frontière aux François.

Assez nouvellement s’étoit tourné François un grand baron de Poitou, le sire de Chauvigny, vicomte de Briouse, et sa ville aussi, et l’avoit garnie de Bretons et de gens d’armes ; mais point n’étoit en sa terre, ains étoit venu en France de-lez le roi. De cette aventure furent le prince et tous les barons de Poitou moult courroucés. Si fut soupçonné le vicomte de Rochechouart, et en fut informé le prince, qu’il vouloit se tourner François ; dont il avint que le prince le manda en Angoulême, où il étoit, et lui dit son intention. Le vicomte s’en défendit et excusa au mieux qu’il put ; mais pour ce ne demeura-t-il mie qu’il ne lui convînt tenir prison fermée, et demeura un grand temps en ce danger.

En ce temps étoit grand sénéchal de Poitou messire James d’Audelée, un moult sage et vaillant chevalier, qui mit sus une chevauchée de tous les barons et chevaliers de Poitou. Et là étoient messire Guichard d’Angle, messire Louis de Harecourt, le sire de Pons, le sire de Parthenay, le sire de Poiane, messire Geffroy d’Argenton, messire Maubrun de Linières, le sire de Tonnai-Bouton, et monseigneur Guillaume de Montendre, et plusieurs autres chevaliers et écuyers de Poitou, et étoient bien douze cents lances. Et encore y étoit messire Baudoin de Franville, sénéchal de Saintonge. Si firent ces seigneurs leur assemblée à Poitiers, et puis s’en partirent en grand arroy, et chevauchèrent tant

  1. Johnes l’appelle Whitewell. Barnès, sir Thomas Wake.
  2. Froissart se trompe : Châtelleraut est sur la Vienne, et non sur la Creuse.