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LIVRE I. — PARTIE II.

qui étoit retourné à Chierebourch, messire Eustache d’Aubrecicourt, qui avoit été mandé et prié du prince de Galles et envoyé quérir par messages et par hérauts, prit congé du dit roi de Navarre pour aller en la prinçauté servir le prince. Lequel roi lui donna congé moult envis : mais le dit messire Eustache lui montra tant de raisons que finablement il se partit et entra en mer avec ce qu’il avoit de gens ; et vint arriver à Saint-Malo de l’Isle en Bretagne, et là prit terre et puis chevaucha vers Nantes, pour là passer la rivière de Loire, par l’accord du duc et de ceux du pays, qui encore ne se mouvoient ni de l’un lez ni de l’autre. Et exploita tant par ses journées le dit messire Eustache qu’il entra en Poitou et vint en la ville d’Angoulême devers le prince qui le reçut à grand’joie, et qui assez tôt après l’envoya devers messire Jean Chandos et le captal de Buch, qui se tenoient à Montalban et faisoient là frontière contre les François. Si fut le dit messire Eustache le bien-venu entre les compagnons si très tôt qu’il y vint.


CHAPITRE CCLXXIII.


Comment le connétable de France et le connétable de Hainaut mirent sus une chevauchée de gens d’armes pour assaillir Ardre.


En ce temps mirent sus les chevaliers de Picardie une chevauchée de gens d’armes, sur l’intention de chevaucher et aller voir ceux d’Ardre ; de laquelle furent adonc chefs, monseigneur Moreau de Fiennes, connétable de France, et messire Jean de Werchin, sénéchal de Hainaut, par le commandement du roi de France. Si s’assemblèrent en la bonne ville de Saint-Omer ; et étoient bien mille lances, chevaliers et écuyers. Si vinrent ces gens d’armes faire leur monstre par devant la bastide d’Ardre, qui bien étoit garnie et pourvue d’Anglois, et se logèrent pardevant, et donnèrent à entendre que ils leur tiendroient là le siége. Les Anglois qui pour ce temps étoient adonc dedans Ardre n’en furent néant ébahis, mais se ordonnèrent et appareillèrent pour défendre si on les assailloit. Si se ordonnèrent et arroièrent un jour les seigneurs de France et de Hainaut qui là étoient, et se trairent tous sur les champs, en moult frisque et noble arroy, et là étoit grand’beauté de voir les bannières des seigneurs mettre en avant et faire leur monstre. Si assaillit-on ce jour à petit de profit ; car il y en eut des navrés et des blessés, et si n’y conquirent rien. Et me semble, selon ce que je fus adonc informé, que au cinquième jour ils se départirent d’Ardre sans autre exploit, et se retournèrent chacun en son lieu. Ainsi se dérompit cette chevauchée.


CHAPITRE CCLXXIV.


Comment la forteresse de Royauville fut prise et conquise par mine, et tous les Anglois qui dedans étoient morts sans nulle mercy.


Nous reviendrons aux besognes des lointaines marches. Si conterons du siége qui se tenoit devant Royauville en Quersin, que les François y avoient mis et établi, qui étoient plus de douze mille combattans parmi les Compagnies, et toutes bonnes gens d’armes. Et encore à deux journées près d’eux se tenoient les gens du duc de Berry, messire Jean d’Armignac, messire Jean de Villemure, le sire de Beaujeu et les autres d’Auvergne et de Bourgogne, qui bien étoient trois mille combattans, qui tantôt se fussent traits avant si besoin eût été. Messire Jean Chandos et le captal, et messire Guichard d’Angle et les autres qui faisoient frontière à Montalban savoient bien le siége des François devant Royauville, et quel nombre de leur côté ils étoient sur le pays : si ne trouvèrent mie gens assez pour eux combattre ni lever le siége. Car le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch qui étoient à siége devant Bourdille ne vouloient nullement briser leur siége.

Or avint ainsi que les François, qui avoient devant Royauville mis leurs mineurs en mine, et qui avoient leurs engins qui jetoient jour et nuit, si contraignirent ceux de Royauville que les dits mineurs vinrent à leur entente, et firent renverser un grand pan de mur, parquoi la ville fut prise et tous les Anglois qui dedans étoient morts sans prendre à merci, dont ce fut dommage, car il y avoit de bons écuyers. Ceux de la nation de la ville furent pris à merci, parmi ce que, dès ce jour avant, ils vinrent à être bons François et loyaux. Si ordonnèrent les seigneurs qui là étoient capitaines et gens d’armes, pour garder la ville si mestier étoit, et pour donner conseil et avis du réparer. Si se départirent ces gens d’armes après le conquêt de Royauville, sur le pays de Quersin et de Rouergue, pour eux