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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

le bourg de Breteuil, Aymemon d’Ortinge, Pierre de Savoie, Raoul de Bray, et Ernaudon de Pans, qu’ils se tournèrent François, dont les Anglois furent moult courroucés, car leur force en affoiblit grandement[1]. Et demeurèrent Anglois : Naudon de Bagerant, le Bourg de Lesparre, le Bourg Camus et les plus grands capitaines des leurs, messire Robert Briquet, Robert Ceny, Jean Cresuelle, Gaillart de la Mote et Aymeri de Rochechouart. Si se tenoient ces compagnies, Anglois et Gascons, de leur accord, en l’évêché du Mans et sur la basse Normandie ; et avoient pris une ville que on appelle la Vire, et détruisoient et honnissoient tout le pays de là environ. Ainsi tournèrent toutes les Compagnies ou d’un lez ou d’autre, et se tenoient tous ou Anglois ou François.

Le roi d’Angleterre eut conseil d’envoyer son frère le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch en la duché d’Aquitaine, devers son frère le prince de Galles atout une charge de gens d’armes et d’arbalétriers. Si furent nommés et ordonnés ceux qui avec lui iroient. Si me semble que le sire de Carbestonne en fut l’un, et messire Brian de Strappletonne, messire Thomas Banaster, messire Jean Trivet et plusieurs autres. Si montèrent sur mer au plus tôt qu’ils purent ; et étoient en somme quatre cents hommes d’armes et quatre cents archers. Si singlèrent devers Bretagne, et eurent bon vent à souhait. Si arrivèrent au hâvre de Saint-Malo de l’Isle. Quand le duc de Bretagne, messire Jean de Montfort, put savoir qu’ils étoient arrivés sur son pays, si en fut moult durement joyeux ; et envoya tantôt aucuns de ses chevaliers devers eux, pour eux mieux conjouir et festoier, tels que monseigneur Jean de Lackingay[2] et monseigneur Jean Augustin.

De la venue des chevaliers du duc de Bretagne furent moult contents le comte de Cantebruge et le comte de Pennebroch. Encore ne savoient-ils de vérité, si les barons, les chevaliers et les bonnes villes de Bretagne les laisseroient passer en leur pays pour entrer en Poitou : si en firent les dessus dits seigneurs d’Angleterre requête et prière au duc et au pays. Le duc, qui moult étoit favorable aux Anglois, et qui bien envis les eût courroucés, s’y accorda légèrement ; et exploita tant devers les barons et chevaliers et les bonnes villes de son pays, qu’il leur fut accordé qu’ils passeroient sans danger et sans riote, parmi payant ce qu’ils prendroient sur le pays. Et les Anglois liement l’accordèrent ainsi. Si traitèrent le comte de Cantebruge, le comte de Pennebroch et leur conseil devers ces Compagnies qui se tenoient au pays du Maine, à Châtel-Gontier et à Vire, et qui tout honni et appovri avoient le pays de là environ, qu’ils passeroient outre avec eux. Si se porta traité et accord, qu’ils se partiroient de là et viendroient passer la rivière de Loire au pont de Nantes, sans porter dommage au pays. Ainsi l’accordèrent les Bretons.

En ce temps étoit messire Hue de Cavrelée, à une grosse route de compagnons, sur la marche d’Arragon, qui nouvellement étoient issus d’Espaigne. Sitôt qu’il put savoir et entendre que les François faisoient guerre au prince, il se partit atout ce qu’il avoit de gens d’armes, compagnies et autres, et passa entre Foix et Arragon et entra en Bigorre, et fit tant qu’il, de bien guerroyer pourvu, vint devers le prince, qui se tenoit en la cité d’Angoulême. Quand le prince le vit venir, si lui fit grand’chère et lie, et lui sçut grand gré de ce secours, et le fit un petit demeurer de-lez lui, tant que les Compagnies qui étoient issues hors de Normandie, et qui avoient vendu les forteresses qu’ils tenoient, furent venues ; car les Bretons les laissèrent passer parmi leur pays, parmi ce qu’ils ne portoient nul dommage. Sitôt qu’ils furent venus en Angoulême et là environ, le prince ordonna monseigneur Hue de Cavrelée à être capitaine d’eux ; et étoient bien, parmi ceux qu’il avoit amenés avec lui d’Arragon, deux mille combattans. Si les envoya tantôt ledit prince ès terres du comte d’Armignac et du seigneur de Labreth, pour les ardoir et exiller ; et y firent grand’guerre et y portèrent grand dommage.

  1. Plusieurs de ces chefs de compagnies virent à peine les premières hostilités. Le duc d’Anjou ayant découvert à Toulouse, au mois de mai de cette année, une conspiration formée par Perrin de Savoie, dit le petit Meschin ou Mesquin, dont Froissart fait mal à propos deux personnages différens, Arnaud de Penne, qui est le même que l’Ernaudon de Pans de Froissart, Amanien d’Artigues, dans lequel on reconnaît sans peine son Aymemon d’Ortinge, Nolin Pavalhon ou Pabeilhon, et quelques autres capitaines des compagnies, qui ne se proposaient rien moins que de le tuer ou de le livrer aux Anglais, leur fit faire leur procès. Les deux premiers furent noyés et les deux autres décapités.
  2. Il est nommé Langueoez dans l’Histoire de Bretagne.