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LIVRE I. — PARTIE II.

ton, si à point, qu’il trouva à Rouvres les dessus dits, le comte de Sallebruche et messire Guillaume de Dormans, qui retournoient d’Angleterre en France et avoient accompli leur message : auxquels le dit Breton conta une partie de son intention ; car ainsi en étoit-il chargé. Et quand les dessus dits entendirent celui, ils partirent d’Angleterre au plutôt qu’ils purent et passèrent la mer. Si furent tout joyeux quand ils se trouvèrent en la ville et la forteresse de Boulogne.

En ce temps avoit été envoyé à Rome devers le pape Urbain Ve, de par le prince de Galles, pour les besoins de la duché d’Aquitaine, messire Guichard d’Angle maréchal d’Aquitaine. Si avoit trouvé le pape assez aimable et descendant à ses prières. Si que au retour, le dit messire Guichard ouït nouvelles que on faisoit guerre au prince et que les François couroient sur la prinçauté : si en fut tout ébahi comment il pourroit être retourné. Nonobstant ce, il s’en vint devers monseigneur le gentil comte de Savoie, lequel en ce temps il trouva en Piémont et en la ville de Pinerol ; car il faisoit guerre contre le marquis de Saluces. Le dit comte de Savoie reçut liement et grandement le dit messire Guichard d’Angle et toute sa route, et les tint deux jours tout aises, et leur donna grands dons, beaux joyaux, ceintures et autres présens ; et par espécial messire Guichard en eut la meilleure partie ; car le gentil comte de Savoie l’honoroit et recommandoit grandement pour sa bonne chevalerie. Et quand le dit messire Guichard et ses gens se furent départis du comte de Savoie, ils passèrent sans nul danger parmi la comté de Savoie ; et plus approchoient les mettes de France et de Bourgogne, et tant oyoient de dures nouvelles et déplaisantes à leur propos ; si que, tout considéré, messire Guichard vit bien que nullement en l’état où il chevauchoit, il ne pourroit retourner en Guyenne. Si se dissimula et différa, et mit et donna tout son état et son arroy en la gouvernance et ordonnance d’un chevalier qui en sa compagnie étoit, qui s’appeloit messire Jean Ysore[1]. Cil avoit sa fille épousée, et étoit bon François des marches de Bretagne. Le dit messire Jean prit en charge et en conduit toutes les gens à monseigneur Guichard d’Angle son père, et s’en vint en la terre du seigneur de Beaujeu ; et là passa la rivière de Sône, et s’accointa si bellement du dit seigneur de Beaujeu, que le dit seigneur de Beaujeu amena le dit chevalier et toute sa route à Riom en Auvergne devers le duc de Berry. Si se offrit là à être bon François, ainsi qu’il étoit. Parmi tant il passa paisiblement et vint chez soi en Bretagne. Et le dit messire Guichard en guise et état d’un povre chapelain, mal monté et tout desciré, repassa parmi France les marches de Bourgogne et d’Auvergne, et fit tant que, en grand péril et en grand’peine, il entra en la prinçauté et vint en Angoulême devers le Prince, où il fut moult liement recueilli et bien-venu, et un autre chevalier de sa route, de Poitou, qui étoit parti en légation avec lui, qui s’appeloit messire Guillaume de Sens, qui s’en vint bouter en l’abbaye de Clugny en Bourgogne, et là se tint plus de cinq ans, que oncques ne s’osa partir ni bouger, et en la fin se rendit-il François.

Or revenons au Breton qui porta les défiances du roi Charles de France au roi Édouard d’Angleterre.


CHAPITRE CCLXV.


Comment les défiances furent baillées au roi d’Angleterre ; et comment le comte de Saint-Pol et le sire de Châtillon conquirent la comté de Ponthieu.


Tant exploita le dit varlet qu’il vint à Londres ; et entendit que le roi d’Angleterre et son conseil étoient au palais de Westmoutier et avoient là un grand temps parlementé et conseillé sur les besognes et l’affaire du prince, qui étoit des barons et des chevaliers de Gascogne guerroyé, à savoir comment ils se maintiendroient et quels gens d’Angleterre on y enverroit pour conforter le prince. Et vous venir autres nouvelles, qui leur donnèrent plus à penser que devant ! Car le varlet qui les lettres de dëfiances apportoit, fit tant qu’il entra en la dite chambre où le roi et son conseil étoient, et dit que il étoit un varlet de l’hôtel du roi de France, là envoyé de par le roi, et apportoit lettres qui s’adressoient au roi d’Angleterre, mais mie ne savoit de quoi elles parloient, ni point à lui n’en appartenoit de parler ni de savoir. Si les offrit-il à genoux au roi. Le roi, qui désiroit à savoir que elles contenoient, les fit prendre et ouvrir

  1. Johnes l’appelle sire John Shore. Peut-être est-ce plutôt Isser, car on trouve aussi un chevalier de ce nom dans l’Histoire de Bretagne.