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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

sur les marches de Montpellier, et partout mit gens d’armes et archers.

Messire Jean Chandos, qui se tenoit à Montalban, tint là franchement la marche et la frontière contre les François, avec les autres barons et chevaliers que le prince y envoya, tels que monseigneur le captal de Buch, les deux frères de Pommiers, messire Jean et messire Hélie, le soudich de l’Estrau[1], le sire de Partenay, le sire de Pons, messire Louis de Harecourt, le seigneur de Poiane, le seigneur de Tonnai-Boutone, monseigneur Richard de Pont-Chardon. Si faisoient souvent des issues, iceux chevaliers et leurs routes, sur les gens du comte d’Armignac et le sire de Labreth, qui illec faisoient aussi la frontière, et le comte de Pierregord, le comte de Comminges, le vicomte de Carmaing, le sire de Téride, le sire de la Barde, et plusieurs autres tous d’une alliance. Si gagnoient les uns, puis les autres, ainsi que telles aventures aviennent en faits d’annes.

Encore se tenoit le duc d’Anjou tout coi, qu’il ne se mouvoit pour chose qu’il ouït dire, car le roi de France son frère lui avoit défendu qu’il ne fît point de guerre au prince de Galles, jusques à tant qu’il orroit et auroit certaines nouvelles de lui. Car il vouloit savoir avant comment les Gascons se maintiendroicot contre le prince.


CHAPITRE CCLXIV.


Comment le roi de France retraist devers lui plusieurs capitaines de compagnies ; et comment il envoya défier le roi d’Angleterre.


Le roi de France, toute celle saison, secrètement et soubtivement avoit retrait plusieurs capitaines de compagnies, Gascons et autres, qui s’étoient partis des Anglois et étoient montés contre mont la rivière de Loire sur les marches de Berry et d’Auvergne, et les consentoit là le roi de France à vivre et à demeurer. Mais point ne se nommoient encore ces compagnies François, car le roi de France ne vouloit mie être nommé, par quoi il perdesist son fait et la comté de Ponthieu qu’il tendoit fort à r’avoir. Car si le roi d’Angleterre sentit que le roi de France lui voulût avoir fait guerre, il eût bien obvié au dommage qu’il reçut de Ponthieu : car il eût si grossement pourvu la bonne ville d’Abbeville d’Anglois et de gens de par lui, que ils en eussent été maîtres et souverains, et aussi de toutes les garnisons appendans à la dite comté.

Lors étoit sénéchal de la dite comté de Ponthieu, de par le roi d’Angleterre, un bon chevalier Anglois qui s’appeloit messire Nicolas de Louvaing, et auquel le roi d’Angleterre avoit grand’fiance et à bon droit ; car pour les membres esrachier, il n’eût aucunement consenti ni pensé nulle lâcheté à faire. En ce temps étoient envoyés en Angleterre le comte de Sallebruche et messire Guillaume de Dormans, de par le roi de France, pour parler au roi d’Angleterre et à son conseil, et à eux remontrer comment de leur partie le pays, ainsi qu’ils disoient, avoit été et encore étoit malmené tous les jours, tant par le fait des compagnies qui guerroyoient et avoient guerroyé depuis six ans en çà le royaume de France, et par autres accidens dont le roi de France et son conseil étoient informés ; et se contenoient mal le roi d’Angleterre et son fils le prince. Si avoient les deux dessus dits demeuré en Angleterre le terme de deux mois, et en ce terme pendant proposé plusieurs articles et raisons au corps du roi, dont plusieurs fois l’avoient mélencolié et courroucé ; mais ils n’y comptoient que un petit ; car de ce dire et faire étoient-ils chargés du roi de France et de son conseil[2].

Or avint ainsi que quand le roi de France eut la sûreté secrètement de ceux d’Abbeville qu’ils se retourneroient François, et que les guerres étoient ouvertes en Gascogne, et toutes gens d’armes du royaume de France appareillés et en grand’volonté de faire guerre au prince et d’entrer en la prinçauté, il, qui ne vouloit mie au temps présent ni avenir être reproché qu’il eût envoyé ses gens sur la terre du roi et du prince, et prendre villes, cités, châteaux et forteresses sus eux, sans défiances, eut conseil qu’il envoieroit défier le roi d’Angleterre, ainsi qu’il fit par ses lettres closes. Et les porta un de ses varlets de cuisine ; et passa le dit varlet, qui étoit Bre-

  1. La Trau ou l’Estrade.
  2. Le silence de Froissart sur cette négociation est suppléé par l’auteur des Chroniques de France, qui rapporte tout au long les propositions et les réponses respectives des deux rois, d’après le compte qu’en rendit Guillaume de Dormans, dans un parlement convoqué par Charles V sur le fait des appellations des seigneurs de Guyenne, le 9 mai, veille de l’Ascension, et non le 21 de ce mois, comme le dit mal à propos le chroniqueur.