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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

tard, environ heure de vêpre. Si se tinrent là tout ce jour jusques à lendemain, que à heure compétenté ils s’en vinrent vers l’abbaye de Saint-André, où le dit prince se logeoit et tenoit son hôtel. Les chevaliers et les écuyers du prince les recueillirent moult doucement, pour la révérence du roi de France de qui ils se renommoient. Et fut le dit prince informé de leur venue, et les fit assez tôt traire avant. Quand ils furent parvenus jusques au prince, ils s’inclinèrent moult bas, et le saluèrent, et lui firent toute révérence, ainsi comme à lui appartenoit, et que bien le savoient faire, et puis lui baillèrent lettres de créance. Le prince les prit et les lut, et puis leur dit : « Vous nous soyez les bien-venus ! or nous dites avant ce que vous voulez dire. » — « Très cher sire, dit le clerc de droit, veci unes lettres qui nous furent baillées à Paris de notre sire le roi de France, lesquelles nous promîmes par nos fois que nous publierions en la présence de vous ; car elles vous touchent. » Le prince lors mua couleur, qui adonc fut tout émerveillé que ce pouvoit être ; et aussi furent aucuns chevaliers qui de-lez lui étoient : néanmoins il se refréna, et dit : « Dites ; dites ; toutes bonnes nouvelles oyons-nous volontiers. » Adonc prit le dit clerc la lettre, et la lut de mot à mot, laquelle lettre contenoit :


CHAPITRE CCLX.


Ci s’ensuit la forme de l’appel que les barons de Gascogne firent faire contre le prince de Galles.


Charles, par la grâce de Dieu roi de France, à notre neveu le prince de Galles et d’Aquitaine, salut. Comme ainsi soit que plusieurs prélats, barons, chevaliers, universités, communes et colléges des marches et limitations de Gascogne, demeurans et habitans ès bondes de notre royaume, avec plusieurs autres de la duché d’Aquitaine, se soient traits en notre cour, pour avoir droit sur aucuns griefs et molestes indues, que vous par foible conseil et simple information leur avez proposé à faire, de laquelle chose nous sommes tout émerveillés. Donc pour obvier et remédier à ces choses, nous nous sommes ahers avec eux et aherdons, tant que, de notre majesté royale et seigneurie, nous vous commandons que vous venez en notre cité de Paris en propre personne, et vous montrez et présentez devant nous en notre chambre des pairs, pour ouïr droit sur les dites complaintes et griefs émus de par vous à faire sur votre peuple qui clame à avoir ressort en notre cour, et à ce n’y ait point de défaut, et soit au plus hâtivement que vous pourrez, après ces lettres vues. En témoin de laquelle chose nous avons à présentes mis notre scel. Données à Paris le vingt cinquième jour du mois de janvier.


CHAPITRE CCLXI.


Comment le prince de Galles fit mettre en prison ceux qui avoient porte l’appel contre lui.


Quand le prince de Galles eut ouï lire cette lettre, si fut plus émerveillé que devant, et crola la tête et regarda de côté sur les dessus dits François ; et quand il eut un petit pensé, il répondit par telle manière : « Nous irons volontiers à notre ajour à Paris, puisque mandé nous est du roi de France, mais ce sera le bassinet en la tête et soixante mille hommes en notre compagnie. » Donc s’agenouillèrent les deux François qui là étoient, et dirent : « Cher sire, pour Dieu merci, ne prenez mie cet appel en trop grand dépit, ni en trop grand courroux ; nous sommes messagers envoyés de par notre seigneur le roi de France à qui nous devons toute obéissance, si comme les vôtres vous doivent, et nous convint par commandement apporter cet appel, et tout ce que vous nous chargerez, nous le dirons volontiers au roi notre seigneur. » — « Nennil, dit le prince, je ne vous en sais nul maugré, fors à ceux qui ci vous envoient. Et votre roi n’est pas bien conseillé, qui se ahert avec nos sujets et se veut faire juge de ce dont à lui n’appartient rien, ni où il n’a point droit ; car bien lui sera montré que au rendre et mettre en la saisine de monseigneur mon père ou ses commis de toute la duché d’Aquitaine, il en quitta tous les ressorts. Et tous ceux qui ont formé leur appel contre moi n’ont autre ressort que en la cour d’Angleterre de monseigneur mon père ; et ainçois qu’il soit autrement, il coûtera cent mille vies. »

À ces paroles se départit le prince d’eux et entra en une chambre ; si les laissa là tous cois ester. Adonc vinrent chevaliers Anglois avant et leur dirent : « Seigneurs, partez de cy et retournez à votre hôtel ; vous avez bien fait ce pourquoi vous êtes venus, vous n’aurez autre