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LIVRE I. — PARTIE II.

na-t-il près d’un an, et les fesoit tenir tous cois à Paris ; mais il payoit leurs frais et leur donnoit encore grands dons et grands joyaux, et toudis enquéroit secrètement si la paix étoit brisée entre lui et les Anglois, et si ils la maintiendroient. Et ils répondoient que jà de la guerre au lez de delà ne lui faudroit ensoinnier ; car ils étoient assez forts pour guerroyer le prince et sa puissance. Le roi, de l’autre côté, tâtoit aussi tout bellement et secrètement ceux d’Abbeville et de Ponthieu, quels ils les trouveroit, et s’ils demeureroient Anglois ou François. Ceux d’Abbeville ne désiroient autre chose que d’être François, tant haioient-ils les Anglois. Ainsi acquéroit le roi de France amis de tous lez ; car autrement il n’eût osé faire ce qu’il fit.

En ce temps fut né, par un advent, Charles de France, ains-né fils au roi de France, l’an 1368[1] dont le royaume fut tout réjoui. En devant ce avoit été né Charles de Labreth, fils au seigneur de Labreth. De la nativité de ces deux enfans, qui étoient cousins germains, fut le royaume réslescié et par espécial le roi de France.


CHAPITRE CCLIX.


Comment le roi de France envoya ajourner le prince par un appel en la chambre des pairs à Paris contre les barons de Gascogne.


Tant fut le roi de France conseillé et ennorté de ceux de son conseil et soigneusement supplié des Gascons que un appeau fut fait et formé, pour aller en Aquitaine appeler le prince de Galles en parlement à Paris. Et s’en firent le comte d’Armagnac, le sire de Labreth, le comte de Pierregord, le comte de Comminges, le vicomte de Carmaing, le sire de la Barde, messire Bertrau de Terride, le sire de Pincornet et plusieurs autres, cause et chef. Et contenoit le dit appel comment sur grands griefs, dont iceux seigneurs se plaignoient que le prince de Galles et d’Aquitaine vouloit faire à eux et à leurs terres, ils appeloient et en traioient à ressort au roi de France, lequel, si comme de son droit, ils avoient pris et ordonné pour leur juge.

Quand le dit appel fut bien fait, écrit et formé, et bien corrigé et examiné au mieux que les sages de France sçurent et purent faire, et plus doucement toutes raisons gardées, on le chargea à un clerc de droit bien enlangagé pour mieux exploiter de la besogne[2], et à un chevalier de Beauce que on appeloit messire Capponnel de Chaponval. Ces deux, en leur arroy et avec leurs gens, se départirent de Paris et se mirent au chemin par devers Poitou, et exploitèrent tant par leurs journées qu’ils passèrent Berry, Touraine, Poitou et Xaintonge, et vinrent à Blayes, et là passèrent la rivière de Garonne et arrivèrent à Bordeaux, où le prince et madame la princesse pour le temps de lors se tenoient plus que autre part. Et partout disoient les dessus dits que ils étoient messagers au roi de France. Si étoient et avoient été partout les bien-venus, pour la cause du dit roi de qui ils se renommoient. Quand ils furent entrés en la cité de Bordeaux, ils se trairent à hôtel ; car jà étoit

    notre licence et consentement à l’appellation par eulx faicte ne ne consentiront que le roy d’Angleterre ou le prinche aient la derraine souveraineté ou ressort d’eulx ne de leurs terres et païs se ce n’estoit de notre consentement ou de nos successeurs roys de France qui pour le temps seront.

    Item et plusieurs de nos conseillers des queulx noms sont escrips cy après avons fait jurer en notre présence qu’ils ne nous conseilleront aultrement ne ne consentiront que ou cas dessus dicts c’est assavoir la dite appellation faicte et recheue nous fachons les renunciations et ressors et souverainetés dessus dits sans le consentement du dit conte appellant ou de leurs hoirs et successeurs c’est assavoir l’archevesque de Sens, le chancelier de France, l’évesque de Coutances, l’évesque de Chartres, l’évesque de Nevers, l’évesque de Paris, Pierre de Villiers, chevalier ; Pierre d’Olmont, chevalier ; l’abbé de Clugny, le duc de Berry et de Bourgoingne, le comte d’Estampes, le conte de Tanquerville, Simon de Bucy, le seigneur de Godenay, le seigneur de Bignay, maistre Pierre d’Orgemont, maistre Jacques Dandice, Anceau Choquart, maistre Jehan des Mares, Jehan de Rye, chevalier, et Guillaume de Dormans, chancellier du Dauphiné ; Loys de Sansserre, maréchal ; le conte de Monthyon, Pierre Davoir, chevalier ; Françoys de Périlleux, chevalier ; Bureau de la Rivière, Nicholas Braque, Pierre de Thenneuse, Philippe de Smosy, le prévost de Paris, le doyen de Paris, Alphons Charrier, le grand prieur de France, le maistre des albalestriers et Charles de Poitiers, chevalier.

  1. Cet enfant, qui fut depuis roi sous le nom de Charles VI, naquit à Paris, le 3 décembre, premier dimanche de l’Avent.
  2. Le sénéchal de Toulouse, que le roi avait nommé commissaire sur le fait des appellations, fût chargé de faire signifier au prince de Galles les sauvegardes que le roi avait accordées aux appelans aux mois d’octobre et de novembre 1368, et de faire citer le prince au tribunal des pairs ou au parlement. Le sénéchal choisit pour cette commission Bernard Palot, juge criminel de Toulouse, et Jean de Chaponval, qui s’en acquittèrent comme on le verra ci-après.