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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

tion du roi étoit encore ou en partie à payer ; et que sur ce et par ce point le roi de France et ses sujets avoient bon droit et juste cause de briser la paix et de guerroyer les Anglois, et eux tollir l’héritage que ils tenoient deçà la mer. Encore fut adonc dit au roi secrètement et par grand’délibération : « Cher sire, entreprenez hardiment la guerre, vous y avez cause, et sachez que sitôt que vous l’aurez entreprise, vous verrez et trouverez que les trois parts du pays de la duché d’Aquitaine se tourneront devers vous, prélats, comtes, barons, chevaliers et écuyers, et bourgeois de bonnes villes. Veci pourquoi et comment : le prince procède à élever ce fouage, dont pas ne viendra à chef, mais en demeurera en la haine et malveillance de toutes personnes. Et sont ceux de Poitou, de Xaintonge, de Quersin, de Limosin, de Rouergue, de la Rochelle, de telle nature qu’ils ne peuvent aimer les Anglois, quelque semblant qu’ils leur montrent. Et les Anglois aussi, qui sont orgueilleux et présomptueux ; ne les peuvent aussi aimer, ni ne firent-ils oncques, et encore maintenant moins que oncques : mais les tiennent en grand dépit et vileté. Et ont les officiers du prince si surmonté toutes gens en Poitou, en Xaintonge et en la Rochelle, qu’il prennent tout en abandon : et y font si grands levées, au titre du prince, que nul n’a rien ou sien. Avec ce, tous les gentilshommes du pays ne peuvent venir à nul office ; car tout emportent les Anglois et les chevaliers du prince. »

Ainsi étoit, tard et tempre, le roi de France induit et conseillé à mouvoir guerre. Et mêmement le duc d’Anjou, qui pour le temps se tenoit en la cité de Toulouse, y mettoit grand’peine et désiroit moult que la guerre fût renouvelée, comme celui qui ne pouvoit aimer les Anglois, pour aucunes déplaisances que au temps passé lui avoient faites. D’autre part, les Gascons soigneusement disoient au roi de France : « Cher sire, nous tenons à avoir notre ressort en votre cour ; si vous supplions que vous nous faites droit et loi, si comme votre cour est la plus droiturière du monde, du prince de Galles, sur les grands griefs qu’il nous veut faire et à nos gens ; et si vous nous faillez de faire droit, nous nous pourchasserons ailleurs, et rendrons et mettrons en cour de tel seigneur qui nous fera avoir raison, et vous perdrez votre seigneurie. » Le roi de France, qui enuis eût ce perdu, car à grand blâme et préjudice lui fût tourné, leur répondit moult courtoisement que jà par faute de loi et de conseil ils ne se trairoient en autre cour que en la sienne ; mais il convenoit user de telles besognes par grand avis[1]. Ainsi les déme-

  1. Les manuscrits de la Bibliothèque du Roi 8323 et 8343, qui contiennent l’abrégé d’une partie du premier livre de Froissart, renferment aussi quelques pièces intéressantes insérées à la fin du volume et séparées par un espace qu’on a laissé en blanc. De ce nombre est l’acte suivant, passé au sujet de cet appel entre le roi de France et quelques-uns des nobles de la Guyenne.

    « Cy ensuivent les convenances que firent ensemble le roi de France Charles le Quint et le comte d’Armagnac et autres nobles du pays de Guienne meus à cause des appellations faictes contre le prince de Galles, duc de Guienne.

    « Premièrement que ou cas que par la dicte appellation recepvoir les dits rois d’Angleterre ou le prinche de Galles son filz nous feroient guerre ou au dit appelant, ce que faire ne debvroient considéré la dicte paix, nous ne ferons point les rénunciations ou ressors ou souveraineté de la duché de Guienne, ne des aultres qui ont été baillés et délivrés au dit roy d’Angleterre à cause de la dicte paix, ne jamais ou temps advenir nous ne nos successeurs ou cas dessus dits ne ferons les dictes renunciations sans le consentement des dits appellans ou de leurs successeurs et ce leur avons nous promis et promettons an dit conte en bonne et loiale foi et en parolle de roy.

    Item aussi que le dit appellant ou cas dessus-dit ne le pourra delessier de son appel ne entrer en l’obéissance du roy d’Angleterre ou de son filz le prince se ce n’estoit de notre accort et consentement et ne pourra consentir comme dit est sans notre consentement et volenté que les dits roy d’Angleterre ou le prinche aient le derrain ressort de la souveraineté roiaulx de lui ne de son païs, et aussi le dit conte et Jehan d’Armignac son filz le nous ont juré en notre présence sur saintes évangiles et sur la vraie croix.

    Item le dit conte d’Armignac appellant ne pourra faire aucun pact traittié ou accord ne treves quelconques pour luy ses adhérents ne pour les païs sans notre consentement ou de celui qui pour le temps sera pour nous sur le païs, ne nous ne feron paix, trèves, pacts ne aultres acors avec le dit prinche ou aultre aidant sans ce que les appellans y soient comprins.

    Item nous avons promit au dit conte d’Armignac en bonne foy et en parolle de roy que ou cas dessus dit, c’est assavoir la dicte appellation faicte et la guerre pour ce commenchée ou continuée après l’appel celle que seroit comménchée et par nous l’appel receu donnés rescrips ou inhibitions nous ne ferons le renunciations dessus dictes sans le consentement du dit conte.

    Item le dit conte et Jehan d’Armignac son filz ont juré en notre présence que l’appellation dessus dicte faite receue et guerre pour ce commenchée ou continuée comme dit est après l’appel par nous receue et donnés rescrips, etc., etc., et la renonciation non faitte ilz ne leurs hoirs ne successeurs n’entreront jamais en l’obéissance du roy d’Angleterre ne du prinche ne ne renoncheront sans