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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

rir sans merci. Là lui fut délivré messire Gommes Garils, du quel il n’eût pris nulle rançon, tant fort le haïoit : si le fit décoler devant ses yeux, au dehors des logis.

Tantôt après messe et boire, le roi Dan Piètre monta à cheval, et le comte Sanses son frère et le maître de Calatrave[1] et tous ceux qui ses hommes étoient devenus, et les deux maréchaux, messire Guichart d’Angle et messire Étienne de Cousenton, et bien cinq cents hommes d’armes ; et se partirent de l’ost du prince et chevauchèrent devers Burgues : si y vinrent le lundi au matin. Ceux de la ville de Burgues, qui informés étoient de toute la besogne comment elle étoit allée, et de la déconfiture du roi Henry, n’eurent mie conseil ni volonté d’eux enclorre ni tenir contre le roi Dan Piètre ; mais vinrent plusieurs riches hommes et les plus notables au dehors de leur ville, et lui présentèrent les clefs, et le reçurent à seigneur et le menèrent, et toutes ses gens, en la dite ville de Burgues, à grand’joie et solemnité.

Ce dimanche tout le jour se tint le prince ès logis qu’il avoit trouvés et conquis, et le lundi après boire il se délogea et toutes ses gens, et vinrent ce jour loger à Barbesque[2] ; et y furent jusques au mercredi qu’ils s’en vinrent tous devant Burgues. Et entra le dit prince en la ville en grand’révérence, et aussi le duc de Lancastre, le comte d’Armignac et aucuns grands seigneurs ; et leurs gens tinrent leurs logis sur les champs au dehors de Burgues ; car tous ne pussent mie être logés en la ville aisément et proprement. Le dit prince venoit tous les jours aux champs en son logis, et là faisoit et rendoit jugemens d’armes et de toutes choses à ce appartenantes, et y tint gage et champ de bataille, parquoi on peut dire que toute Espaigne fut un jour à lui et en son obéissance.


CHAPITRE CCXLIII.


Comment le prince dit au roi Dan Piètre qu’il payât ceux qui remis l’aroient en son royaume ; et quel chose il respondit.


Le prince de Galles et le roi Dan Piètre tinrent leurs Pâques en la ville de Burgues, là où ils séjournèrent environ trois semaines et plus. Et le jour de Pâques vinrent ceux d’Esturges, de Léon, de Tollète, de Cordouan, de Gallice, de Séville, et de toutes les marches et limitations du royaume de Castille, faire hommage au dit roi Dam Piètre ; et le vint voir, et le dit prince, ce loyal chevalier de Castille, Dan Ferrant de Castres, lequel fut par eux fêté, honoré, et moult volontiers vu.

Quand le roi Dan Piètre eut là séjourné le terme que je vous dis, et plus, et qu’il eut vu et entendu que nuls n’étoient mie rebelles à lui, mais en son obéissance, le prince de Galles, par l’information de ses gens et pour faire ce qu’il appartenoit, lui dit : « Sire roi, vous êtes, Dieu merci ! sire et roi de votre pays, et n’y sentons mais nul empêchement ni nul rebelle que tous n’obéissent à vous ; et nous séjournons ici à grands frais : si vous disons que vous quérez argent pour payer ceux qui vous ont remis en votre royaume, et nous tenez vos convenances, ainsi que juré et scellé l’avez : si vous en saurons gré ; et tant plus brièvement le ferez, tant y aurez plus de profit ; car vous savez que gens d’armes veulent vivre et être payés de leurs gages, où qu’il soit pris. »

À ces paroles répondit le roi Dan Piètre et dit : « Sire cousin, nous tiendrons et accomplirons à notre loyal pouvoir ce que juré et scellé avons ; mais quant à présent nous n’avons point d’argent : si nous trairons en la marche de Séville ; là en procurerons-nous, tant que pour bien satisfaire partout. Si vous tiendrez ci en Val-d’Olif où il y a plus grasse marche, et nous retournerons devers vous au plus tôt que nous pourrons, et au plus tard dedans la Pentecôte. »

Cette réponse fut plaisante au prince et à son conseil ; et se partit assez brièvement le roi Dan Piètre du dit prince, et chevaucha vers la cité de Séville, en intention de procurer et avoir grand argent, ainsi que enconvenancé l’avoit. Et le prince se vint loger en la ville de Val-d’Olif, et tous les seigneurs et ses gens s’épardirent sur le pays pour trouver et avoir vivres et pourvéanees pour eux et leurs chevaux plus largement ; et y séjournèrent à peu de profit, car les compagnies ne se pouvoient tenir de piller.

  1. Il s’appelait D. Martin Lopez de Cordoue.
  2. Briviesca.