Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/603

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1367]
535
LIVRE I. — PARTIE II.

maints hommes renversés et jetés par terre, qui oncques puis ne se relevèrent. Quand ces deux premières batailles furent assemblées, les autres ne voulurent mie séjourner, mais s’approchèrent et boutèrent ensemble vitement ; et s’en vint le dit prince de Galles à la bataille du comte Dan Tille et du comte Sanses : et là étoit le roi Dam Piètre de Castille et messire Martin de la Kare qui représentoit le roi de Navarre. Donc il avint ainsi que, quand le prince et ses gens approchérent sur le comte Dan Tille, le dit comte Dan Tille ressoingna, et se partit sans arroy et sans ordonnance ni rien combattre, on ne sçet qu’il lui faillit, et bien deux mille à cheval de sa route.

Si fut cette seconde bataille ouverte et tantôt déconfite ; car le captal de Buch et le sire de Cliçon, et leurs gens, vinrent sur ceux de pied de la bataille du comte Dan Tille et les occirent et mes-haignèrent, abattirent et firent grand esparsin. Adonc s’adressa la bataille du prince et du roi Dan Piètre sur la bataille du roi Henry, où plus avoit de quarante mille hommes, que à pied que à cheval. Là se commença l’estour grand et fort et de tous côtés ; car ces Espaignols et Castellains avoient fondes dont ils jetoient pierres et effondroient heaumes et bassinets ; de quoi ils mes-haignèrent maint homme. Là fut grand le boutis de lances et de glaives entre les batailles ; et y eut maint homme occis et meshaigné et mis par terre. Là traioient archers d’Angleterre, qui de ce sont coutumiers, moult aigrement, et blessoient ces Espaignoïs et mettoient en grand meschef. Là crioit-on d’un lez : « Castille, au roi Henry ! » Et d’autre part : « Saint George, Guyenne ! » Et se combattoient les premières batailles, celles du duc de Lancastre et de messire Jean Chandos et des deux maréchaux, messire Guichard d’Angle et mesure Étienne de Cousenton, à messire Bertran du Guesclin et aux chevaliers de France et d’Arragon. Là eut faite mainte belle appertise d’armes ; et furent les uns et les autres moult forts à ouvrir et à entamer ; et tenoient les plusieurs leurs lances à deux mains, et les boutoïent l’un contre l’autre en pressant, et les aucuns se combattoient de courtes épées et de dagues. À ce commencement se tinrent trop bien et se combattirent moult vaillamment François et Arragonnois ; et y convint les bons chevaliers d’Angleterre souffrir moult de peine. Là fut messire Jean Chandos très bon chevalier, et y fit dessous sa bannière plusieurs grandes appertises d’armes ; et tout en combattant et reculant ses ennemis, si s’encloui si avant entre eux que il fut appressé, bouté et abattu à terre, et chéy sur lui un grand homme castellain, qui s’appeloit Martin Ferrant, qui moult étoit entre les Espaignols renommé d’outrage et de hardiment. Cil mit grant entente à occire messire Jean Chandos, et le tint dessous lui en grant meschef. Adonc s’avisa le dit chevalier d’un coutel de plates qu’il portoit en son sein ; si le traist, et férit tant ce dit Martin au dos et ès côtés qu’il lui embarra au corps, et le navra à mort étant sur lui et puis le renversa d’autre part. Si se leva le dit messire Jean de Chandos au plus tôt qu’il put, et ses gens furent tous appareillés autour de lui, qui a grand’peine avoient rompu la presse où il étoit chu.


CHAPITRE CCXXXVII.


Comment la bataille fut dure et forte et comment le roi Henry remit trois fois ses gens ensemble.


Le samedi au matin, entre Najares et Navarrete, fut la bataille dure, grande, felonnesse et horrible, et moult y eut de gens mis en grand meschef. Là fut le prince de Galles bon chevalier, et le duc de Lancastre son frère, et messire Jean Chandos, messire Guichard d’Angle, le captal de Buch, le sire de Cliçon, le sire de Rais, messire Hue de Cavrelée, messire Eustache d’Aubrecicourt, messire Gautier Huet, messire Mathieu de Gournay, messire Louis de Harecourt, le sire de Pons, le sire de Parthenay. D’autre part se combattoient les Gascons, le comte d’Armignac, le sire de Labreth, le sire de Pommiers et ses frères, le sire de Mucident, le sire de Rosem, le comte de Pierregort, le comte de Comminges, le vicomte de Carmain, le sire de Condom, le sire de l’Esparre, le sire de Caumont, messire Berthelemy de Taride, le sire de Pincornet, messire Bernard de Labreth sire de Géronde, messire Aymery de Tarste, le soudich de l’Estrade, messire Petiton de Courton et plusieurs autres chevaliers et écuyers qui s’acquittèrent en armes à leur loyal pouvoir. Dessous le pennon Saint-George et la bannière messire Jean Chandos étoient les compagnies, où bien étoient douze cents penonceaux. Là avoit de bons chevaliers et