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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Henry comte de Tristemare, qui pour le présent s’appelle roi de Castille. Comme ainsi soit que vous nous avez envoyé unes lettres par votre héraut, ès quelles sont contenus plusieurs articles, faisant mention que vous sauriez volontiers pourquoi nous tenons à ami votre ennemi le roi Dan Piètre notre cousin, et à quel titre nous vous faisons guerre, et sommes entrés à main armée en Castille, répondant à cette : sachez que c’est pour soutenir droiture et garder raison, ainsi qu’il appartient à tous rois et enfans de rois, et pour entretenir grands alliances que notre seigneur de père le roi d’Angleterre et le roi Dan Piètre ont eues de jadis ensemble. Et parceque vous êtes aujourd’hui renommé de bonne chevalerie, nous vous accorderions volontiers à lui si nous pouvions, et ferions tant par prière envers notre cher cousin le roi Dan Piètre que vous auriez au royaume de Castille grand’part ; mais de la couronne vous faut déporter et de l’héritage. Si ayez conseil et avis sur ce, et sachez encore que nous entrerons au dit royaume de Castille par lequel lez qu’il nous plaira le mieux. Écrit de-lez le Groing le trentième jour de mars.


CHAPITRE CCXXXII.


Comment messire Bertran du Guesclin conseille le roi Herry sur la forme de la dite lettre que le prince lui avoit envoyée.


Quand cette lettre fut écrite on la cloy et scella, et fut baillée au héraut qui avoit l’autre apportée et qui la réponse avoit attendue plus de trois semaines. Si se partit du prince et des seigneurs atout grand profit, et chevaucha tant que il vint devant Najare, ès bruyères où le roi étoit logé. Si vint jusques au logis du roi Henry, et là se trairent les plus grands barons de l’ost, pour ouïr les nouvelles, quand ils sentirent leur héraut venu.

Le dit héraut s’agenouilla devant le roi Henry et lui bailla la lettre que le prince lui envoyoit. Le roi la prit et ouvrit, et appela au lire messire Bertran du Guesclin et aucuns chevaliers de son conseil. Là fut la dite lettre lue et bien considérée. Adonc parla messire Bertran du Guesclin et dit au roi Henry : « Sire, sachez que briévement vous vous combattrez ; de tant connois-je bien le prince : si ayez avis sur ce ; car vous avez bien mestier que vous regardez à vos besognes et entendez à vos gens, et ordonnez vos batailles. » — « Dan Bertran, répondit le roi Henry, ce soit au nom de Dieu ! La puissance du prince ne prisé-je néant ; car j’ai bien trois mille chevaux armés qui seront sur les deux èles de mes batailles, et aurai bien six mille génétaires[1] et bien vingt mille hommes d’armes des meilleurs que on puist trouver en toute Castille, Gallice, Portingal, Cordouan, et Séville, et dix mille de bons arbalétriers, et bien soixante mille hommes de pied atout lances et archegaies ; et ont tous juré qu’ils ne me faudront pour mourir ; si que, Dan Bertran, j’en aurai le meilleur, par la grâce de Dieu en qui je me confie, et le bon droit aussi que j’ai à la querelle et à la besogne. »


CHAPITRE CCXXXIII.


Comment le prince ordonna que ses gens s’appareillassent et suivissent les bannières des maréchaux et le pennon Saint-George.


Ainsi se devisoient le roi Henry et messire Bertran de Guesclin ensemble d’une chose et d’autres, et laissèrent à parler des lettres que le prince avoit envoyées ; car c’étoit bien l’intention du roi Henry qu’ils se combattroient, et entendirent à ordonner leurs gens et leurs besognes. À ce donc étoient moult honorés et renommés en l’ost le comte Dan Tille et le comte Sanses, pour la chevauchée qu’il avoient mise sus, et dont ils étoient venus à bon coron.

Or vous parlerons du prince, comment il persévéra, Quand ce vint au vendredi, le second jour du mois d’avril, il se délogea de devant le Groing où il étoit logé, et tout son ost aussi, et chevauchèrent ses gens tous armés et rangés par manière de bataille, ainsi que pour tantôt combattre ; car bien sçavoient que le roi Henry n’étoit mie loin ; et cheminèrent ce jour deux lieues ; et s’en vinrent droit à l’heure de tierce devant

    prince de Galles est une espèce de manifeste dans lequel il expose les motifs qui lui ont fait embrasser la défense de D. Pèdre, et propose sa médiation pour rétablir la paix entre les deux frères. Elle est datée de Navarrette le 1er avril. D. Henri, dans sa réponse, datée de Najara (in palatio nostro juxta Najara), le 2 du même mois, justifie sa conduite envers D. Pèdre, établit la légitimité de ses droits à la couronne, droits qu’il est tout prêt à défendre par les armes, si le prince, contre toute raison, veut leur porter atteinte.

  1. Cavaliers légèrement armés.