Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome I, 1835.djvu/585

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
[1367]
517
LIVRE I. — PARTIE II.

si vous êtes bien courtois ni ami à vos voisins, vous ne les devriez mie soutenir qui pillent et robent les bonnes gens sans nul titre de guerre, car par tels œuvres s’émeuvent les haines entre les seigneurs ; et les mettez hors de votre forteresse, ou autrement vous n’êtes mie ami au roi ni au royaume de France. » — « Seigneurs, dit le capitaine de Montalban, il est bien vérité qu’il y a gens d’armes dedans ma garnison que monseigneur le prince a mandés, et les tient à lui pour ses gens. Si ne suis mie conseillé que de eux faire partir si soudainement, ni d’eux faire vuider ; et si ceux vous ont fait aucuns déplaisirs, je ne puis mie voir qui droit vous en fasse, car ce sont gens d’armes ; si les convient vivre ainsi qu’ils ont accoutumé et sur le royaume de France et sur le prince. » Donc répondirent le comte de Narbonne et messire Guy d’Azay, et dirent : « Ce sont gens d’armes tels quels qui ne savent vivre, fors de pillage et de roberie, et qui mal courtoisement ont chevauché sur nos mettes. Si le compareront, si nous les pouvons tenir aux champs, car ils ont ars, pris et pillé et fait moult de maux en la sénéchaussée de Toulouse, dont les plaintes en sont venues à nous ; et si nous les souffrions à faire, nous serions traîtres et parjures envers notre seigneur qui ci nous a établis pour garder sa terre. Si leur dites hardiment de par nous ainsi ; car puisque nous savons où ils logent, nous ne retournerons si l’auront amendé, ou il nous coûtera encore plus. »

Autre réponse ne put adonc avoir le capitaine de Montalban, et s’en partit mal content d’eux, et dit que jà pour leurs menaces il ne briseroit jà son intention, et retourna à Montalban et leur recorda toutes les paroles que vous avez ouïes.


CHAPITRE CCXIV.


Comment messire Perducas de Labreth et les Compagnies déconfirent le sénéchal de Toulouse et le comte de Narbonne et y furent pris plus de cent chevaliers.


Quand les Compagnies entendirent ces nouvelles, si ne furent mie bien assurés, car ils n’étoient pas à jeu parti contre les François. Si se tinrent sur leurs gardes du mieux qu’ils purent. Or avint que, droit au cinquième jour après que ces paroles eurent été dites, messire Perducas de Labreth, atout une grande route de compagnons dut passer par Montalban, car le passage étoit par là pour entrer en la prinçauté : si le fit à savoir à ceux de la ville.

Quand messire Robert Ceni[1] et les autres compagnons qui là se tenoient pour enclos entendirent ces nouvelles, si en furent moult réjouis : si signifièrent tout secrètement le convent des François au dit messire Perducas, et comment ils les avoient là assiégés et les menaçoient durement ; et aussi quels gens ils étoient, et aussi quels capitaines ils avoient.

Quand messire Perducas de Labreth entendit ce, si n’en fut de néant effréé, mais recueillit ses compagnons de tous lez, et s’en vint bouter dedans Montalban, où, il fut reçu à grand’joie. Quand il fut là venu, ils eurent parlement ensemble comment ils se pourroient maintenir ; et furent d’accord que lendemain ils s’armeroient et se mettroient tous à cheval, et iroient hors de la ville, et s’adresseroient vers les François, et les prieroient que paisiblement ils les laissassent passer ; et si ils ne vouloient à ce descendre et que combattre les convint, ils s’aventureroient et vendroient à leur loyal pouvoir. Tout ainsi comme ils ordonnèrent ils firent. À lendemain ils s’armèrent, et sonnèrent leurs trompettes et montèrent tous à cheval et vidèrent hors de Montalban.

Jà étoient les François armés pour l’effroi qu’ils avoient ouï et vu, et tous rangés et mis devant la ville, et ne pouvoient passer ces compagnons fors que parmi eux. Adonc se mirent tout devant messire Perducas de Labreth et messire Robert Ceni, et voulurent parlementer aux François et prier que on les laissât paisiblement passer : mais les François leur envoyèrent dire qu’ils n’avoient cure de leur parlement, et qu’ils ne passeroient, fors parmi les pointes de leurs glaives et de leurs épées ; et écrièrent tantôt leurs cris et dirent : « Avant ! avant ! à ces pilleurs qui pillent et robent le monde et vivent sans raison ! »

Quand ces compagnons virent ce, et que c’étoit aeertes, et que combattre les convenoit ou mourir à honte, si descendirent de leurs chevaux, et se rangèrent et ordonnèrent tout à pied moult faiticement, et attendirent les François qui vinrent sur eux moult hardiment, et se mirent aussi par devant eux tous à pied. Là commen-

  1. Johnes l’appelle Robert Cheney.