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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

et d’Arragon, et se départirent en trois routes. L’une partie des Compagnies et plus grande s’en allèrent costiant Foix et Berne, et l’autre Catalogne et Armignac et la tierce s’avala entre Arragon et Foix par l’accord du comte d’Armignac, du seigneur de Labreth et du comte de Foix. En celle route avoit la plus grand’partie de Gascons ; et s’en venoient cils compagnons, qui pouvoient être environ trois mille par routes et par compagnies, en l’une trois cents, en l’autre quatre cents, devers l’archevêché de Toulouse ; et devoient passer entre Toulouse et Montalban.

Adonc avoit un bon chevalier de France à sénéchal de Toulouse qui s’appeloit messire Guy d’Azay. Quand il entendit que ces Compagnies approchoient et qu’ils chevauchoient en routes et ne pouvoient être en somme plus de trois mille combattans, qui encore étoient foulés, lassés et mal armés, mal montés et pis chaussés, si dit qu’il ne vouloit pas que tels gens approchassent Toulouse ni le royaume de France, pour eux recouvrer ; et qu’il leur iroit au devant et les combattroit, s’il plaisoit à Dieu. Si signifia tantôt son intention à messire Aymery comte de Narbonne et au sénéchal de Carcassonne et à celui de Beaucaire et à tous les officiers, chevaliers et écuyers de là environ, en eux mandant et requérant aide, pour aider à garder la frontière contre ces males gens nommés Compagnies. Tous ceux qui mandés et priés furent, obéirent et se hâtèrent ; et vinrent au plus tôt qu’ils purent en la cité de Toulouse ; et se trouvèrent grands gens, bien cinq cents lances, chevaliers et écuyers, et quatre mille bidaus, et se mirent sur les champs par devers Montalban à sept lieues de Toulouse, où ces gens se tenoient, les premiers qui venus étoient ; et tout compté ils ne se trouvèrent pas plus de deux cents lances, mais ils attendoient les routes de leurs compagnons qui devoient passer par là.


CHAPITRE CCXIII.


Comment le sénéchal de Toulouse et le comte de Narbonne envoyèrent leurs coureurs par devant Montalban et comment le capitaine de Montalban vint parler aux dits seigneurs.


Quand le comte de Narbonne et messire Guy d’Azay, qui se faisoient souverains et meneurs de toutes ces gens d’armes, furent partis de la cité de Toulouse, ils s’en vinrent loger assez près de Montalban, qui pour lors se tenoit en l’obéissance du prince ; et en étoit capitaine à ce jour un chevalier anglois qui s’appeloit messire Jean Trivet. Si envoyèrent ces seigneurs de France leurs coureurs devant Montalban pour agraire hors ces Compagnies qui s’y tenoient.

Quand le capitaine de Montalban entendit que les François étoient venus à main armée et à ost devant sa forteresse, si fut durement émerveillé, pour tant que la terre étoit du prince. Si vint aux barrières de la dite ville, et fit tant que, sur assurance, il parla aux dits coureurs, et leur demanda qui là les envoyoit et pourquoi ils s’avançoient de courir la terre du prince qui étoit voisine et devoit être amie, avecques le corps du seigneur, au royaume et au roi de France. Ceux répondirent et dirent : « Nous ne sommes mie, de nos seigneurs qui ci nous ont envoyés, de rendre raison chargés ; mais pour vous apaiser, si vous voulez venir ou envoyer par devers nos seigneurs, vous en aurez bien réponse. » — « Oil, dit le capitaine de Montalban, je vous prie que vous retraiez par devers eux, et leur dites qu’ils m’envoient un sauf-conduit par quoi je puisse aller eux à et retourner arrière, ou ils m’envoient dire pleinement pour quoi ni à quel titre ils me font guerre ; car si je cuidois que ce fût tout acertes, je le signifierois à monseigneur le prince qui y pourverroit de remède. » Ceux répondirent : « Nous le ferons volontiers. » Ils retournèrent et recordèrent à leurs seigneurs toutes ces paroles. Ce sauf-conduit fut impétré, au nom du dit messire Jean Trivet, et l’apportèrent à Montalban.

Adonc se partit, lui cinquième tant seulement, et vint au logis des dessus dits François, et trouva les seigneurs tous appareillés de le recevoir et de lui répondre. Il les salua et ils lui rendirent son salut, et puis leur demanda à quelle cause ils avoient envoyé courir à main armée par devant sa forteresse qui se tenoit de monseigneur le prince. Ils répondirent : « Nous ne voulons nulle ahatie ni nulle guerre ; mais nous voulons nos ennemis chasser où que nous les savons. » — « Et qui sont vos ennemis ni où sont-ils ? » ce répondit le chevalier. — « En nom de Dieu, répondit le comte de Narbonne, ils sont à Montalban, et sont robeurs et pilleurs, qui ont robé et pillé, pris et couru mal dûment sur le royaume de France ; et aussi, messire Jean,