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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

« Par mon chef, répondit le roi Dam Piètre, si me ferez grand grâce et grand’courtoisie. »

Encore en ce parlement regardèrent aucuns sages, le comte d’Armignac, le sire de Pommiers, messire Jean Chandos, le captal de Buch et les autres, que le prince de Galles ne pouvoit nullement faire ce voyage sans l’accord et consentement du roi Charles de Navarre, ni il ne pouvoit aller ni entrer au royaume d’Espaigne fors par son pays et les détroits de Roncevaux[1] : duquel passage il n’étoit pas bien assuré de l’avoir ; car le dit roi de Navarre et le roi Henry avoient de nouveau faites grands alliances ensemble. Et là fut longuement parlementé comment on se pourroit chevir. Si fut dit et considéré des sages, que un parlement se feroit et assigneroit à Bayonne de toutes ces parties, et là endedans enverroit le prince suffisans hommes et traiteurs, pardevers le roi de Navarre, qui le prieroient au nom du prince qu’il voulsist être en ce parlement en la cité de Bayonne. Ce conseil fut tenu et arrêté ; et sur ce partit le dit parlement, et eurent en convenant chacun d’y être à Bayonne, au jour qui mis et ordonné y fut. En ce terme envoya le prince messire Jean Chandos et messire Thomas de Felleton devers le roi de Navarre qui se tenoit en la cité de Pampelune. Ces deux chevaliers, comme sages et bien enlangagés, exploitèrent si bien pardevers le roi de Navarre qu’il leur eut en convenant et scella pour être en ce parlement ; et sur ce ils retournèrent devers le prince, à qui ils recordèrent ces nouvelles.


CHAPITRE CCIX.


Comment le roi de Navarre accorda au prince et au roi Dam Piètre passage par son royaume ; et comment le dit prince envoya querre ses gens qui étoient en Espagne avec le roi Henry.


Au jour que ce parlement fut assigné en la cité de Bayonne vinrent le prince, le roi d’Espaigne, le comte d’Armignac, le sire de Labreth et tous les barons de Gascogne, de Poitou, de Quersin, de Rouergue, de Xaintonge, de Limousin, et là fut le roi de Navarre personnellement, auquel le prince et le roi Dam Piètre firent moult d’honneur, pour ce qu’ils en pensoient à mieux valoir ; et eut en la cité de Bayonne de rechef grand parlement et long, et dura cinq jours. Et eurent le dit prince et son conseil moult de peine et de travail ainçois qu’ils pussent avoir le roi de Navarre de leur accord ; car il n’étoit mie léger à entamer là où il véoit qu’on avoit besoin de lui[2]. Toutes fois le grand sens du prince le mena à ce que il promit, jura et scella au roi Dam Piètre paix, amour, alliances et confédérations, et le roi Dam Piètre ainsi à lui, sur certaines compositions qui furent là ordonnées, desquelles le prince de Galles fut moyen traictierre et devissierre[3] ; c’est à savoir que le roi Dam Piètre, comme roi de toute Castille, donna, scella et accorda au roi de Navarre et à ses hoirs, pour tenir héritablement, toute la terre du Groing[4], ainsi comme elle s’étend pardeçà et delà la rivière, et toute la terre et la contrée de Sauveterre, la ville et le châtel et toutes les appartenances, et la ville de Saint-Jean-du-Pié-des-Ports et la marche de là environ : lesquelles terres, villes et châteaux et seigneuries il lui avoit tollues de jadis et tenues de force. Avec tout ce, le dit roi de Navarre devoit avoir six-vingt mille francs[5] pour ouvrir son

    de Biscaye et la ville de Castro de Urdialès. Il remit les trois infantes qu’il avait eues de Marie de Padilla entre ses mains et s’engagea à payer à ses capitaines, dans le mois à compter du jour de l’Épiphanie, la somme de 550,000 florins cours de Florence, et 56,000 autres florins d’or au prince à la Saint-Jean suivante. J. Chandos reçut la promesse de la ville de Soria.

  1. Village de Navarre, célèbre, comme on sait, par la défaite de l’arrière-garde de Charlemagne et la mort de Roland.
  2. Le roi de Navarre venait de s’engager à Santa-Cruz de Campezco avec le roi Henry, moyennant certains avantages, à fermer le passage aux troupes de D. Pèdre et du prince de Galles. Mais comme il vit que le prince avait plus de chances de succès, il passa de son côté. Il n’osa cependant se trouver en personne à la bataille contre son ancien ami D. Henry. Ayala raconte qu’il engagea Olivier de Mauny, parent de du Guesclin, à s’emparer de lui à la chasse et à le retenir comme de force dans un château pendant la bataille.
  3. Ce traité se trouve dans Rymer avec les pleins pouvoirs donnés par les trois princes à leurs commissaires respectifs pour régler quelques points douteux, et y mettre la dernière main. Ces différentes pièces sont datées du mois de septembre de cette année, 1366.
  4. Dom Pèdre lui céda, outre Logrogno, la province de Guipuscoa, Calaborra, Alfaro, etc., et de plus toutes les terres et seigneuries appartenant au comte de Transtamare ; mais il n’est fait mille mention dans le traité des villes de Salvatierra et de Saint-Jean-Pied-de-Port.
  5. Le traité porte 200,000 florins d’or, dozientas vezez mil florines de oro.