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LIVRE I. — PARTIE II.

de Bordeaux les dessus dits quatre chevaliers qui étoient ordonnés pour aller en Angleterre, et entrèrent en deux nefs ordonnées et appareillées pour eux ; et exploitèrent tant par mer, à l’aide de Dieu et du vent, qu’ils arrivèrent à Hantonne. Et reposèrent là un jour pour eux rafraîchir et traire hors de vaisseaux leurs chevaux et leurs harnois ; et puis montèrent le second jour, et chevauchèrent tant par leurs journées, qu’ils vinrent en la cité de Londres. Si demandèrent du roi où il étoit. On leur dit qu’il se tenoit à Windesore. Si allèrent celle part ; et furent grandement bien venus et recueillis du roi et de la roine, tant pour l’amour du prince leur fils, comme pour ce qu’ils étoient seigneurs et chevaliers de grand’recommandation. Si montrèrent ces dits seigneurs et chevaliers leurs lettres au roi, qui les ouvrit et fit lire ; et en répondit quand il eut un petit pensé et visé, et dit : « Seigneurs, vous vous retrairez à Londres, et je manderai aucuns barons et sages hommes de mon conseil ; si vous en répondrons et expédierons assez brièvement. » Cette réponse plut assez bien adonc à ces chevaliers ; et se trairent lendemain à Londres.

Il ne demeura guères de temps depuis que le roi d’Angleterre vint à Westmoustier ; et là furent à ce jour, une partie des plus grands de son conseil, son fils le duc de Lancastre, le comte d’Arondel, le comte de Sallebery, le sire de Mauny, messire Regnault de Gobehen, le sire de Persy, le sire de Nuefville et moult d’autres ; et aussi de prélats, l’évêque de Wincestre, l’évêque d’Ély[1] et l’évêque de Londres. Si conseillèrent grandement et longuement sur les lettres du prince, et la prière qu’il faisoit au roi son père. Finablement il sembla au dit roi et à son conseil chose due et raisonnable du prince, d’entreprendre ce voyage et remettre et mener le roi d’Espaigne arrière en son royaume et héritage ; et l’accordèrent tous notoirement, et sur ce, ils escripstrent lettres notables, de par le roi et le conseil d’Angleterre, au dit prince et aux barons d’Aquitaine. Et les apportèrent arrière ceux qui apportées les avoient, et revinrent en la cité de Bordeaux, où ils trouvèrent le prince et le roi Dam Piètre, auxquels ils baillèrent aucunes lettres que le roi d’Angleterre leur envoyoit. Si fut de rechef un parlement nommé et assigné en la cité de Bordeaux ; et y vinrent tous ceux qui mandés y furent. Si furent là lues généralement les lettres du roi d’Angleterre, qui parloient et devisoient pleinement comment il vouloit que le prince son fils, au nom de Dieu et de saint George, entreprît le roi Dam Piètre son cousin à remettre à son héritage, dont on l’avoit à tort et frauduleusement, si comme apparant étoit, bouté hors. Et faisoient encore les lettres du roi d’Angleterre mention que moult y étoit tenu par certaines alliances, faites jadis, obligées et convenancées entre lui et le roi de Castille son cousin, de lui aider au cas que besoin seroit ; et commandoit à tous ses féaux, et prioit à tous ses amis, que le prince de Galles son fils fût aidé, conforté et conseillé en toutes ses besognes, si comme il seroit d’eux, s’il y étoit présent.

Quand tous les barons d’Aquitaine ouïrent lire ces lettres et virent le mandement du roi et la grand’volonté du prince leur seigneur, si en répondirent liement et dirent : « Monseigneur, nous obéirons au commandement du roi notre sire et votre père, c’est bien raison, et vous servirons en ce voyage et le roi Dam Piètre aussi ; mais nous voulons savoir qui nous payera et délivrera nos gages ; car on ne met mie gens d’armes hors de leurs hôtels ainsi pour aller guerroyer en étrange pays, sans être payés et délivrés. Et si ce fût pour les besognes de notre cher seigneur votre père ou pour les vôtres, ou pour votre honneur ou de notre pays, nous n’en parlissions pas si avant que nous faisons. » Adonc regarda le prince sur le roi Dam Piètre, et dit : « Sire roi, vous oyez que nos gens disent ; si en répondez ; à vous en tient à répondre, qui les devez et voulez embesogner. » Adonc répondit le roi Dam Piètre au prince, et dit : « Mon cher cousin, si avant que mon or, mon argent et tout mon trésor, que j’ai amené pardeçà, qui n’est mie si grand de trente fois comme cil de pardelà est, se pourra étendre, je le veuil donner et départir à vos gens. » Donc dit le prince : « Vous dites bien, et du surplus je ferai ma dette devers eux et délivrance, et vous prêterai tout ce que il vous faudra jusques à ce que nous soyons en Castille[2]. » —

  1. Johnes dit l’évêque de Lincoln au lieu de l’évêque d’Ély.
  2. D. Pèdre promit en outre au prince de Galles la terre