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LIVRE I. — PARTIE II.

Depuis ces lettres et ces réponses vues et ouïes, messire Jean de Monfort et son conseil envoyèrent devers les messagers du roi de France, qui se tenoient à Rennes. Ceux vinrent à l’ost. Là leur fut réponse donnée et faite bien et courtoisement ; et leur fut dit que jà messire Jean de Montfort ne se départiroit du calenge de Bretagne, pour chose qui avînt, s’il ne demeuroit duc de Bretagne, ainsi qu’il se tenoit et appeloit : mais là où le roi lui feroit ouvrir paisiblement et villes et cités et châteaux, et rendre fiefs et hommages et toutes droitures, ainsi que les ducs de Bretagne anciennement les avoient tenues, il le reconnoîtroit volontiers à seigneur naturel, et lui feroit hommage et tous services, présens et oyans les pairs de France ; et encore par cause d’aide et de proismeté, il aideroit et conforteroit d’aucune recompensation sa cousine la femme à messire Charles de Blois, et aideroit aussi à délivrer ses cousins qui étoient prisonniers en Angleterre, Jean et Guy.

Ces réponses plurent bien à ces seigneurs de France qui là avoient été envoyés. Si prirent jour et terme de l’accepter ou non. On leur accorda légèrement. Tantôt ils envoyèrent devers le duc d’Anjou qui étoit retrait à Angers, auquel le roi avoit remis toutes les ordonnances du faire ou du laisser. Quand le duc d’Anjou vit les traités, il se conseilla sus une grand’espace de temps : lui bien conseillé, il les accepta ; et revinrent arrière deux chevaliers qui envoyés avoient été devers lui, et rapportèrent, par écrit, la réponse du dit duc d’Anjou scellée. Si se départirent de la cité de Rennes les dessus dits messagers au roi de France, et vinrent devant Camper-Corentin. Et là finablement fut la paix faite et accordée et scellée[1] de messire Jean de Montfort ; et demeura adonc duc de Bretagne, parmi ce, que, si il n’avoit enfant de sa chair, par loyauté de mariage, la terre, après son décès, devoit retourner aux enfans monseigneur Charles de Blois ; et demeureroit la dame, qui fut femme à monseigneur Charles de Blois, comtesse de Penthièvre, laquelle terre pouvoit valoir par an environ vingt mille francs ; et tant lui devoit-on faire valoir. Et devoit le dit messire Jean de Montfort venir en France, quand mandé y seroit, et faire hommage au roi de France, et reconnoître la duché de lui. De tout ce, prit-on chartes et instrumens publics et lettres grossées et scellées de l’une partie et de l’autre ; et par ainsi entra le comte de Montfort en Bretagne, et demeura duc un temps, jusques à ce que autres renouvellemens de guerres revinrent, si comme vous orrez recorder en avant en l’histoire.


CHAPITRE CCI.


Comment le roi de France rendit à Clisson sa terre ; et comment le duc de Bretagne fut marié à la fille de la princesse de Galles ; comment le captal de Buch devint homme du roi de France et puis y renonça.


Avec toutes ces choses, parmi l’ordonnance de la paix, r’eut le sire de Clisson toute sa terre que le roi Philippe jadis lui avoit tollue et ôtée ; et lui rendit le roi Charles de France, et encore de l’autre assez. Celui sire de Clisson depuis s’acointa du roi de France, et faisoit tout ce qu’il vouloit ; et sans lui n’étoit rien fait. Si fut tout le pays de Bretagne tout joyeux, quand ils se trouvèrent en paix ; et prit le dit duc les fois et les hommages des cités, des villes, des châteaux et de tous les prélats et gentilshommes. Assez tôt après, se maria le dit duc à la fille madame la princesse de Galles, que elle avoit eue de messire Thomas de Hollande ; et en furent les noces faites en la bonne cité de Nantes, moult grandes et moult nobles. Encore avint en cel hiver, que la roine Jeanne, ante du roi de Navarre, et la roine Blanche, sa sœur germaine, pourchassèrent et exploitèrent tant, que paix fut faite et accordée entre le roi de France et le roi de Navarre[2], parmi l’aide et le grand sens de monseigneur le captal de Buch, qui y rendit grand’heure et grand’diligence. Et parmi tant il fut quitte de sa prison ; et lui montra et fit de fait le roi de France grand signe d’amour, et lui

  1. Il est très vraisemblable que les préliminaires de la paix furent arrêtés devant Quimper-Corentin, qui se rendit à Montfort le 17 novembre de cette année ; mais la paix ne fut conclue que le 11 mars de l’année suivante, à Guerande où les plénipotentiaires étaient convenus de s’assembler.
  2. Ce traité fut conclu à Paris le 6 mars 1364 (1365). On lit dans les Chroniques de France, qu’il fut fait au mois de juin de cette année : le chroniqueur ignorait vraisemblablement la date véritable du traité, ou bien il ne l’a regardé comme terminé qu’après que Charles V l’eut confirmé par ses lettres données à Paris au mois de juin de cette année. On trouvera rassemblées dans l’Histoire de Charles-le-Mauvais, toutes les pièces relatives à re traité très peu connu jusqu’alors.