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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

en la place. » Quand le sire de Beaumanoir entendit messire Jean Chandos ainsi parler, si s’enfelonnit et fut moult courroucé, et dit : « Chandos, Chandos, ce n’est mie l’intention de monseigneur, qu’il n’ait plus grand’volonté de combattre que monseigneur Jean de Montfort ; et aussi ont toutes nos gens. » À ces paroles, il s’en partit sans plus rien dire, et retourna devers monseigneur Charles de Blois et les barons de Bretagne qui l’attendoient

D’autre part, messire Jean Chandos se retraist devers le comte de Montfort, qui lui demanda : « Comment va la besogne ? Que dit notre adversaire ? » — « Que il dit ? répondit messire Jean Chandos : Il vous mande par le seigneur de Beaumanoir, qui tantôt se part de ci, qu’il se veut combattre, comment qu’il soit, et demeurera duc de Bretagne aujourd’hui, ou il demeurera en la place. » Et cette réponse dit adonc messire Jean Chandos, pour encourager plus encore son dit maître et seigneur le comte de Montfort : et fut la fin de la parole messire Jean Chandos qu’il dit : « Or, regardez que vous en voulez faire, si vous voulez combattre ou non. » — « Par monseigneur saint George ! dit le comte de Montfort, oil ; et Dieu veuille aider au droit : faites avant passer nos bannières et nos archers. » Et ils se passèrent.

Or vous dirai du seigneur de Beaumanoir qu’il dit à monseigneur Charles de Blois : « Sire, sire, par monseigneur saint Yves, j’ai ouï la plus orgueilleuse parole de messire Jean Chandos que je ouïsse grand temps a ; car il dit que le comte de Montfort demeurera duc de Bretagne et vous montrera que vous n’y avez nul droit. » De cette parole mua couleur à messire Charles de Blois, et répondit : « Du droit soit-il en Dieu aujourd’hui qui le sçait. » Et aussi dirent tous les barons de Bretagne. Adonc fit-il passer avant bannières et gens d’armes au nom de Dieu et de monseigneur saint Yves.


CHAPITRE CXCIII.


Ci devise comment les batailles de messire Charles de Blois et celles du comte de Montfort s’assemblèrent et comment ils se combattirent vaillamment d’un côté et d’autre.


Un petit devant prime, s’approchèrent les batailles ; de quoi ce fut très belle chose à regarder, comme je l’ouïs dire à ceux qui y furent et qui vues les avoient : car les François étoient aussi serrés et aussi joints que on ne pût mie jeter une pomme qu’elle ne chéist sur un bassinet, ou sur une lance. Et portoit chacun homme d’armes son glaive droit devant lui, retaillé à la mesure de cinq pieds, et une hache forte, dure et bien acérée, à petit manche, à son côté ou sur son col ; et s’en venoient ainsi tout bellement le pas, chacun sire en son arroy et entre ses gens, et sa bannière devant lui ou son pennon, avisés de ce qu’ils devoient faire. Et aussi d’autre part les Anglois étoient très faiticement ordonnés.

Si s’assemblèrent premièrement messire Bertran du Guesclin et les Bretons de son lez à la bataille de monseigneur Robert Canolle et messire Gautier Huet ; et mirent les seigneurs de Bretagne, qui étoient d’un lez et de l’autre, les bannières des deux seigneurs qui se appeloient ducs l’une contre l’autre ; et les autres batailles s’assemblèrent aussi par grand’ordonnance l’une contre l’autre. Là eut de première rencontre fort boutis des lances et fort estrif et dur. Bien est vérité que les archers trairent du commencement, mais leur trait ne gréva néant aux François ; car ils étoient trop bien armés et forts et bien pavoisés contre le trait. Si jetèrent ces archers leurs arcs jus, qui étoient forts compagnons et légers, et se boutèrent entre les gens de leur côté, et puis s’en vinrent à ces François qui portoient ces haches. Si s’adressèrent à eux de grand’volonté, et tollirent de commencement à plusieurs leurs haches, de quoi ils se combattirent depuis bien et hardiment. Là eut faite mainte appertise d’armes, mainte lutte, mainte prise et mainte rescousse ; et sachez que qui étoit chu à terre, c’étoit fort du relever, si il n’étoit trop bien secouru. La bataille messire Charles de Blois s’adressa droitement à la bataille du comte de Montfort, qui étoit forte et espesse. En sa compagnie et en sa bataille étoient le vicomte de Rohan, le sire de Léon, messire Charles de Dynant, le sire de Quintin, le sire d’Ancenys, le sire de Rochefort ; et avoit chacun sire sa bannière devant lui. Là eut, je vous dis, dure bataille et grosse et bien combattue ; et furent ceux de Montfort, du commencement, durement reboutés. Mais messire Hue de Cavrelée, qui étoit sur èle et qui avoit une belle bataille et de bonne gent, venoit à cet endroit où il véoit ses gens branler, ou desclorre ou ouvrir, et les reboutoit et mettoit sus par force