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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

mes faites plusieurs. Et y tinrent le siége le dit connétable et les dits maréchaux, sans point partir, jusques adonc que le duc de Bourgogne et la plus grand’partie de ses gens, qui avoient chevauché avec lui en la comté de Montbeliard, furent tous revenus en France devers le roi, et le trouvèrent à Paris. Sitôt que le duc de Bourgogne fut là revenu, le dit roi l’envoya, à plus de mille lances, devant la Charité.

Ainsi fut le siége renforcé ; et s’y fit chef de toutes ces gens d’armes le duc de Bourgogne, et étoient bien les François au siége pardevant la Charité plus de trois mille lances, chevaliers et écuyers ; de quoi les plusieurs se alloient souvent aventurer et escarmoucher à ceux de la garnison. Si en y avoit des navrés des uns et des autres. Et là furent faits chevaliers et levèrent bannières, à une saillie que ceux de la Charité firent hors, messire Robert d’Alençon, fils du comte d’Alençon qui demeura à Crécy, et messire Louis d’Aucerre, fils au comte d’Aucerre qui là étoit présent. Si furent les compagnons de la Charité appressés, et se fussent volontiers partis par composition, si ils pussent : mais le duc de Bourgogne n’y vouloit entendre, si ils ne se rendoient simplement.

En ce temps étoit sur la marche d’Auvergne messire Louis de Navarre qui détruisoit et ardoit là à ce lez tout le pays, assembloit et prioit gens de tous côtés pour venir secourir les gens de la Charité ; car volontiers eût levé le siége ; et avoit bien deux mille combattans. Et avoit le dit messire Louis de Navarre envoyé en Bretagne devers monseigneur Robert Canolle et monseigneur Gautier Huet, et monseigneur Mathieu de Gournay et autres chevaliers et écuyers qui là étoient de-lez le comte de Montfort, en priant que ils se voulsissent péner de lui venir servir ; et sans faute il combattroit les François qui gissoient assez esparsement devant la Charité. Ces chevaliers d’Angleterre y désiroient moult à aller ; mais en ce temps séoit le dit comte de Montfort devant le fort châtel d’Auray en Bretagne, que le roi Artus fit jadis fonder, et avoit juré qu’il ne s’en partiroit, si l’auroit pris et conquis à sa volonté. Avecques tout ce, il entendoit que messire Charles de Blois étoit en France, et pourchassoit devers le roi de France à avoir gens d’armes ; pour venir lever le siége et eux combattre. Si ne laissoit mie volontiers ces chevaliers et écuyers d’Angleterre partir de lui, car il ne savoit quel besoin il en auroit : mais en mandoit et en prioit tous les jours là où il en pensoit à avoir et à recouvrer, tant en Angleterre comme en la duché d’Aquitaine.


CHAPITRE CLXXXV.


Comment ceux de la Charité se rendirent au duc de Bourgogne ; et comment le dit duc s’en retourna en France.


On vouloit bien dire et maintenir que ceux qui étoient en garnison en la Charité-sur-Loire eussent eu fort temps ; car le duc de Bourgogne, qui tenoit par devant toute la fleur de la chevalerie de France, les avoit jà durement appressés, et tollue la rivière, que nulles pourvéances ne leur pouvoient venir. Si en étoient les compagnons durement ébahis ; car messire Louis de Navarre, où leur espérance de reconfort gissoit, étoit retrait et s’en r’alloit en Normandie devers Chierebourc, par l’ordonnance et avis du roi son frère. Mais de ce que messire Charles de Blois étoit pour le temps de-lez le roi de France son cousin, et lui remontroit plusieurs voies de raison où le roi se sentoit grandement tenu de lui aider contre le comte de Montfort, et faire le vouloit, si en chéy trop bien à ceux de la Charité-sur-Loire : car ainsi que je vous ai dit comment ils étoient appressés, le roi de France, pour défaire ce siége, afin que messire Charles de Blois eût plus de gens d’armes, manda au duc de Bourgogne son frère que il prît ceux de la Charité en traité et les laissât aller, parmi tant qu’ils rendissent la forteresse et jurassent solennellement que, dedans trois ans, pour le fait du roi de Navarre ne s’armeroient. Quand le duc vit le mandement du roi son frère, si fit remontrer par ses maréchaux aux capitaines de la Charité le traité par où ils pouvoient venir et descendre à accord. Ceux de la Charité, qui se véoient en bien périlleux parti, y entendirent volontiers, et jurèrent à eux non armer contre le royaume de France le terme de trois ans, pour le fait du roi de Navarre, parmi tant que on les laissât paisiblement partir. Mais ils n’emportèrent rien du leur ; et s’en allèrent la plus grand’partie tous à pied, et passèrent parmi le royaume de France sur le conduit du duc de Bourgogne. Ainsi reconquirent les François la ville de la Charité-sur-Loire ; et y revinrent ceux et