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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

gneur Jean de Vienne maréchal de Bourgogne ; et délivra le duc le châtel à un écuyer de Beauce qui s’appeloit Guillaume de Chartres. Cil le prit en garde à soixante compagnons avecques lui. Puis se partit le duc et tout l’ost, et s’en vinrent devant un autre châtel que on dit Camerolles. Si l’assiégèrent ces gens d’armes tout à l’environ ; car il siéd en plain pays ; et y fit-on asseoir et dresser les engins qui étoient amenés de Chartres. Ces engins étoient grands durement, et en y avoit quatre qui contraignirent moult ceux de la ville.

Or vous parlerons aussi un petit de monseigneur Jean de la Rivière qui tenoit siége devant Aquegny, assez près de Pacy en la comté d’Évreux, et avoit en sa route bien deux mille combattans ; car il étoit si bien du roi qu’il vouloit ; si lui faisoit ses délivrances et ses finances à sa volonté. Dedans le châtel d’Aquegny avoit Anglois et Normands et Navarrois qui là étoient retraits, puis la bataille de Coucherel ; et se tinrent et défendirent le châtel moult bien ; et ne les pouvoit-on pas avoir à son aise, car ils étoient bien pourvus d’artillerie et de vivres, pourquoi ils se tinrent plus longuement. Toutes fois, finablement ils furent si menés et si appressés qu’ils se rendirent, sauves leurs vies et leurs biens, et se partirent et se retrairent dedans Chierebourc. Si prit messire Jean de la Rivière la saisine du dit château d’Aquegny, et le rafraîchit de nouvelles gens ; et puis se délogea et tout son ost, et se trairent pardevant la ville et la cité d’Évreux. Si étoient avecques lui et de sa charge messire Hugues de Chastillon, le sire de Cauny, messire Mathieu de Roye, le sire de Monsaut, le sire de Helly, le sire de Kreseques, le sire de Sempy, messire Oudart de Renty, messire Enguerran d’Eudin et plusieurs autres bons chevaliers et écuyers de France. Dedans la cité d’Évreux étoient pour la garder messire Guillaume de Gauville et messire Leger d’Orgesy qui trop bien en pensèrent. Si avoient-ils souvent l’assaut ; mais ils étoient si bien sur leur garde qu’ils n’en faisoient compte.


CHAPITRE CLXXXIII.


Comment ceux de Camerolles et ceux de Connay se rendirent au duc de Bourgogne ; et comment le dit duc s’en alla en son pays contre le comte de Montbéliart.


Pendant que messire Jean de la Rivière et les dessus dits barons de France sirent devant la cité d’Évreux, le duc de Bourgogne appressa si ceux de Camerolles qu’ils ne purent plus durer et se rendirent simplement en la volonté du duc. Si furent pris à mercy tous les soudoyers étrangers ; mais aucuns pillards de la nation de France, qui là s’étoient boutés, furent tous morts. Là vinrent en l’ost les bourgeois de Chartres et prièrent au duc de Bourgogne qu’il leur voulût donner, pour le salaire de leurs engins, le châtel de Camerolles qui moult les avoit guerroyés et hériés du temps passé. Le duc leur accorda et donna en don à faire leur volonté. Tantôt ceux de Chartres mirent ouvriers en œuvre, et l’abattirent et arasèrent tout par terre ; oncques n’y laissèrent pierre l’une sur l’autre. Adonc se délogea le dit duc et passa outre et s’en vint devant un autre châtel qui s’appelle Druez, qui siéd au plain de la Beauce ; et le tenoient pillards : si conquirent les pillards par force, et furent tous morts ceux qui dedans étoient. Puis passèrent outre, et s’en allèrent devant un autre fort qu’on dit Preux. Si l’assiégèrent et environnèrent de tous côtés, et y livrèrent mains assauts ainçois qu’ils le pussent avoir. Finablement ceux de Preux se rendirent, sauves leurs vies ; mais autre chose ils n’emportèrent : encore convint-il demeurer en la prison du dit duc à sa volonté tous ceux qui François étoient. Si fit le duc de Bourgogne par ses maréchaux prendre la saisine de Preux, et puis le donna à un chevalier de Beauce que on appeloit messire du Bois-Ruffin. Cil le fit réparer et ordonner bien à point, et le garda toujours bien et suffisamment.

Après ces choses faites, le duc de Bourgogne et une partie de ses gens s’en vinrent refraîchir en la cité de Chartres. Quand ils eurent là été cinq jours, ils s’en partirent et se retrairent par devant le châtel de Connay, et l’assiégèrent de tous points. Cette garnison de Connay[1] avoit fait moult de destourbiers au pays d’environ : pour ce se pénoit le duc de Bourgogne comment il les pût avoir, et bien disoit qu’il ne s’en partiroit point, si les auroit à sa volonté ; et avoit fait dresser pardevant la forteresse jusques à six grands engins qui jetoient ouniement à la forteresse et moult la travailloient. Quand ceux de Connay virent qu’ils étoient si appressés, si commencèrent à traiter ; et se fussent volontiers

  1. Probablement Conneray, bourg du Maine, sur l’Huisne.