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LIVRE I. — PARTIE II.

à sauveté. Quand ce vint à lendemain, les François se délogèrent et troussèrent tout, et chevauchèrent pardevers Vernon pour venir en la cité de Rouen ; et tant firent qu’ils y parvinrent. En la cité et au châtel de Rouen laissèrent-ils une partie de leurs prisonniers et s’en retournèrent les plusieurs à Paris tous lies et tous joyeux ; car ils avoient eu une moult belle journée pour eux, et moult profitable pour le royaume de France. Car si le contraire fût avenu aux François, monseigneur le captal eût fait un grand essart en France ; car il avoit empris et en propos de chevaucher jusques à Reims au devant du duc de Normandie, qui jà y étoit venu pour lui faire couronner et consacrer, et la duchesse sa femme avec lui : mais Dieu ne le voult mie consentir. Ce doit-l’en moult bien espérer.


CHAPITRE CLXXIX.


Comment le duc de Normandie fût moult réjoui de la déconfiture du captal ; et comment il fut couronné à roi à grand’solemnité.


Les nouvelles s’espardirent en plusieurs lieux que le captal étoit pris, et toutes ses gens rués jus. Si en acquit messire Bertran du Guesclin grand’grâce et grand’renommée de toutes manières de gens au royaume de France ; et en fut son nom moult élevé. Si vinrent les nouvelles jusques au duc de Normandie qui étoit à Reims ; si s’en réjouit grandement, et en loua Dieu plusieurs fois. Si en fut sa cour et toutes les cours des seigneurs qui là étoient venus à son couronnement plus lies et plus joyeuses. Ce fut le jour de la Trinité l’an de grâce 1364, que le roi Charles, ains-né fils du roi Jean de France, fut couronné et consacré à roi en la grand’église Notre-Dame de Reims, et aussi madame la roine sa femme, fille au duc Pierre de Bourbon, de révérend père en Dieu monseigneur Jean de Craon archevêque de Reims. Là furent le roi Pierre de Chypre, le duc d’Anjou, le duc de Bourgogne, le duc de Lucembourc et de Brabant oncle au dit roi, le comte d’Eu, le comte de Dampmartin, le comte de Tancarville, le comte de Vaudemont, messire Robert d’Alençon, l’archevêque de Rouen et tant de prélats et de seigneurs que je ne les aurois jamais tous nommés : si m’en passerai brièvement.

Si furent adonc les fêtes et les solemnités grandes, et demeurèrent le roi de France et la roine en la cité de Reims cinq jours. Si y eut grands dons et beaux joyaux donnés et présentés aux seigneurs étrangers, dont la plus grand’partie prirent là congé au dit roi et retournèrent en leurs lieux. Si retourna le dit roi de France devers Paris à petites journées et à grands ébattemens, et grand’foison de prélats et de seigneurs avec lui, et toujours le roi de Chypre en sa compagnie. On ne vous pourroit mie dire ni recorder en un jour d’été les solemnités ni les reviaulx que on lui fit en la cité de Paris quand il y entra[1]. Si étoient jà revenus à Paris la greigneur partie des seigneurs et des chevaliers qui avoient été à la besogne de Coucherel. Si leur fit le roi grand’fête et les vit moult volontiers, et par espécial monseigneur Bertran du Guesclin[2], et les chevaliers de Gascogne, mon seigneur Aymon de Pommiers et les autres ; car le sire de Labreth avoit été a son couronnement


CHAPITRE CLXXX.


Comment le roi Charles donna à messire Philippe son frère la duché de Bourgogne ; et comment le dit roi renvoya en France contre les Navarrois et les ennemis du royaume.


À la revenue du roi de France à Paris fut pourvu[3] et revêtu de la duché de Bourgogne messire Philippe son mains-né frère ; et se partit

  1. On lit dans les Chroniques de France que le roi revint à Paris le mercredi 23 juin. Il y a faute ou pour le jour de la semaine ou pour le quantième du mois ; car le mercredi dont il s’agit était le 22 juin.
  2. Le roi ne borna pas là sa reconnaissance envers du Guesclin ; il lui donna le comté de Longueville confisqué sur le roi de Navarre. Les lettres de cette donation sont datées du 27 mai, dix jours après la bataille de Cocherel. Elles sont imprimées dans l’histoire de du Guesclin par du Châtelet. Disons en passant que l’historien s’est mépris lorsqu’il dit que le comté de Longueville fut donné à du Guesclin en échange du captal de Buch ; il n’en est rien dit dans les lettres, et on lit dans une autre pièce conservée au trésor des chartes que le captal avait été cédé au roi non par du Guesclin, mais par Rolant Bodin, écuyer qui l’avait fait prisonnier. Cette pièce a été publiée dans les Mémoires de Charles-le-Mauvais.
  3. On ne doit point entendre par la manière dont s’exprime Froissart que Charles V donna à son frère Philippe le duché de Bourgogne : le roi Jean lui en avait fait don par ses lettres du 6 septembre 1363, ainsi qu’on la remarqué sous cette année, Il ne s’agit donc ici que de la confirmation de cette donation par Charles V en faveur de son frère, qu’il admit à l’hommage le même jour, 31 mai 1364, suivant les Chroniques de France.