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LIVRE I. — PARTIE II.

furent là très bonnes gens et y firent plusieurs belles appertises d’armes.

Or vous veuil-je compter des trente qui étoient élus pour eux adresser au captal, et trop bien montés sur fleurs de coursiers. Ceux qui n’entendoient à autre chose que à leur emprise, si comme chargés étoient, s’en vinrent tout serrés là où le captal étoit, qui se combattoit moult vaillamment d’une hache, et donnoit les coups si grands que nul n’osoit l’approcher, et rompirent la presse, parmi l’aide des Gascons qui leur firent voye. Ces trente, qui étoient trop bien montés, ainsi que vous savez, et qui savoient quel chose ils devoient faire, ne vouldrent mie ressoigner la peine et le péril ; mais vinrent jusques au captal et l’environnèrent, et s’arrêtèrent du tout sur lui, et le prirent et embrassèrent de fait entre eux par force, et puis vidèrent la place, et l’emportèrent en cel état. Et en ce lieu eut adonc grand débat et grand abattis et dur hutin ; et se commencèrent toutes les batailles à converser celle part : car les gens du captal, qui sembloient bien forcennés, crioient : « Rescousse au captal ! rescousse ! » Néanmoins, ce ne leur put rien valoir ni aider : le captal en fut porté et ravi en la manière que je vous dis, et mis à sauveté. De quoi, à l’heure que ce avint, on ne savoit encore lesquels en auroient le meilleur.


CHAPITRE CLXXVII.


Comment le pennon du captal fut conquis ; et comment les Navarrois et les Anglois furent tous morts ou pris.


En ce touillis et en ce grand hutin et froissis, et que Navarrois et Anglois entendoient à suir la trace du captal qu’ils en véoient mener et porter devant eux, dont il sembloit qu’ils fussent tous forcennés, messire Aymon de Pommiers, messire Petiton de Courton, monseigneur le soudich de l’Estrade et les gens le seigneur de la Breth d’une sorte, entendirent de grand’volonté à eux adresser au pennon du captal qui étoit en un buisson, et dont les Navarrois faisoient leur étendard. Là eut grand hutin et forte bataille, car il étoit bien gardé et de bonnes gens ; et par espécial, messire le bascle de Marueil et messire Geffroy de Roussillon y étoient. Là eut faites maintes appertises d’armes, maintes prises et maintes rescousses, et maints hommes blessés et navrés et renversés par terre. Toutes fois, les Navarrois qui là étoient de-lez le buisson et le pennon du captal furent ouverts et reculés par force d’armes, et mort le bascle de Marueil et plusieurs autres, et pris messire Geffroy de Roussillon et fiancé prisonnier de Monseigneur Aymon de Pommiers, et tous les autres qui là étoient ou morts ou pris, ou reculés si avant qu’il n’en étoit nulles nouvelles entour le buisson quand le pennon du captal fut pris, conquis et désciré et rué par terre. Pendant que les Gascons entendoient à ce faire, les Picards, les François, les Bretons, les Normands et les Bourguignons se combattoient d’autre part moult vaillamment ; et bien leur étoit besoin, car les Navarrois les avoient reculés ; et étoit demeuré mort entre eux le vicomte de Beaumont, dont ce fut dommage ; car il étoit à ce jour jeune chevalier et bien taillé de valoir encore grand’chose. Si l’avoient ses gens à grand meschef porté hors de la presse arrière de la bataille, et là le gardoient. Je vous dis, si comme j’ai ouï recorder à ceux qui y furent d’un côté et d’autre, que on n’avoit point vu la pareille bataille d’autelle quantité de gens être aussi bien combattue comme celle fut ; car ils étoient tous à pied et main à main. Si s’entrelaçoient l’un dedans l’autre et s’éprouvoient au bien combattre de tels armures qu’ils pouvoient, et par espécial de ces haches donnoient-ils si grands horions que tous s’étonnoient.

Là furent navrés et durement blessés messire Petiton de Courton et monseigneur le soudich de l’Estrade, et tellement que depuis pour la journée ne se purent aider. Messire Jean Juviel, par qui la bataille commença, et qui premier moult vaillamment avoit assailli et envahi les François, y fit ce jour maintes grands appertises d’armes, et ne daigna oncques reculer, et se combattit si vaillamment et si avant qu’il fut durement blessé en plusieurs lieux au corps et au chef, et fut pris et fiancé prisonnier d’un écuyer de Bretagne dessous monseigneur Bertran du Guesclin : adonc fut-il porté hors de la presse. Le sire de Beaujeu, messire Louis de Châlons, les gens de l’archiprêtre avec grand’foison de bons chevaliers et écuyers de Bourgogne se combattoient vaillamment d’autre part, car une route de Navarrois et les gens monseigneur Jean Juviel leur étoient au devant. Et vous